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des vivants et des morts

du lundi 13 au jeudi 16 décembre 2010

lundi 13 décembre, de 20h à 22h : Atelier d'écriture avec Clodine Bonnet (Porte-Plume)
Le passage
A partir de textes évoquant des histoires de passages, nous lancerons des passerelles entre les unes et les autres. Nous écrirons dans la marge, espace d'un entre-deux avant de jouer les fusions. Nous remonterons le cours des choses pour trouver les limites et inventerons peut-être les rites de l'écrivain que nous serons ce soir-là.
Cinélégende, 51 rue Desjardins, Angers
Participation :15 € et 12 € (inscription : 06 24 78 19 07)

mardi 14 décembre, 20h15 : Film
Departures (Japon, 131 min.) de Yojiro Takita, avec présentation et débat en présence du Professeur Philippe Mercier, professeur d'anatomie à la Faculté de Médecine d'Angers, responsable de l'enseignement de thanatopraxie, et de Philippe GROSBOIS, maître de conférences en psychologie à l'IPSA (Université Catholique de l'Ouest).
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,30 €, réduit 5,90 €, carnets 5 € ou 4,40 €

jeudi 16 décembre, 18h30 : Conférence
Les rites de purification , par Lorine Bost et PhilippeParrain

Institut Municipal, place Saint-Eloi

Gratuit

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Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Né en 1955, Yojiro Takita a à son actif une filmographie relevant aussi bien du fantastique que du film de samouraï ou du film érotique. Il a été révélé sur le plan international en 2008 par ce film sur un sujet apparemment abrupt mais en fait consensuel : Departures, qui séduit le public japonais et obtient aux USA l’oscar du meilleur film étranger.

Il aborde, avec précision et respect, un thème universel (la mort) en faisant appel à une très large gamme d’émotions (du rire aux larmes), et en préservant une identité culturelle propre à séduire les amateurs d’exotisme.

Au-delà de la découverte des pratiques funéraires japonaises, le film évoque des sentiments universels qui, partout dans le monde, se manifestent au travers des rites et des traditions. Il s’attache surtout, avec sensibilité, à dérouler une fable philosophique en suivant son personnage tout au long de sa quête du sens de la vie – et de la mort – et en le guidant vers sa réconciliation avec le monde, avec les siens et avec lui-même.

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Thèmes mytho-légendaires et approche filmique

La religion shintô ne se préoccupe pas de l'au-delà ; elle s'intéresse essentiellement à la vie d'ici-bas et vise avant tout à réaliser la purification du pratiquant. L'impureté, la laideur et la bassesse représentent le mal, et la mort, souillure absolue, est antinomique avec le culte. Traditionnellement les personnes en contact avec la mort doivent s’éloigner des sanctuaires pendant des semaines, voire des mois afin d’éviter toute contamination. Il a fallu légiférer en 1872 pour stipuler que les personnes qui ont assisté à des funérailles puissent, le jour suivant, honorer les divinités shintô après avoir observé des rituels de purification : immersions dans les fleuves ou torrents, ablutions, papiers blancs ornant l'entrée des sanctuaires... La propreté physique est la condition indispensable de tout contact avec le monde du sacré.

C’est dans ce contexte qu’il faut lire Departures. Le rituel, dans le film, se réfère moins à un rite de passage (il ne s’agit pas d’accompagner le défunt vers l’autre monde) qu’à un rite de purification : se protéger des effets nocifs dus à la proximité du cadavre, se purger de sa propre impureté. Le titre « français », Departures, pourrait davantage renvoyer à la nécessité de se séparer qu’à un départ (le titre en espagnol, Despedidas, signifie « adieux ») : nous restons avec les vivants et les suivons, en voiture ou en musique, dans leur périple intérieur.

La voiture, au début, émerge de la blancheur de l’écran : une page vierge sur laquelle le personnage, au cœur de l’hiver, va devoir écrire. Je vis dans l’incertitude, dit-il, et il lui faudra tout le temps du film, jusqu’à l’éclosion du printemps, pour qu’il dépasse son angoisse et trouve sa voie.

Les premières images du rituel suggèrent une purification par le feu (l’encens) et l’eau versée, et ces éléments se retrouveront tout au long du film (l’eau chauffée au feu de bois des bains publics, la rivière, la toilette, la crémation des corps…) : On commence par la toilette du corps. Elle permet d’évacuer la fatigue, la douleur, les soucis de ce monde et rappelle le bain de la naissance, avant de passer dans l’autre monde. Cette leçon vaut autant pour les vivants qui progressent dans l’existence que pour les morts.

Il s’agit bien là pour Daigo d’un parcours initiatique qui n’est pas étranger à celui du novice dans bien des cultures. Cela débute par une mise à l’épreuve : le contact frontal, nauséabond avec la souillure de la mort (il marche dans la pourriture), et se poursuit – comme pour l’adepte qui doit faire un séjour dans la forêt profonde - par la nécessaire mise à l’écart de la société humaine. Reconnu comme tabou, le héros devient objet de dégoût et de rejet au sein même de sa propre famille. Son trajet respecte bien les trois étapes successives qu’observe Van Gennep dans les rites de passage : séparation, marge et agrégation.

Comme dans toute initiation, il y a un épisode de régression : retour dans la maison de la mère, tout contre le ventre de la femme. Même si cela peut sembler dérisoire, il est nécessaire de remonter à la source, de même que les saumons refont, avant de mourir, tout le chemin pour revenir là où ils sont nés. Les flashes-back nous ramènent à l’enfance et cherchent à reconstituer le visage d’un père naturellement rejeté, mais que tout (thème musical, violoncelle, cailloux) rappelle. L’initiation ne sera effective que lorsque le cordon qui rattache encore Daigo à sa mère sera coupé et que, une fois la faute expiée, la filiation sera véritablement rétablie. Le parcours est ponctué de moments de doute (en écho par exemple à une situation conflictuelle), et de purifications successives : Tout est blanc !, s’exclame-t-il avec émerveillement en sortant de l’établissement de bains.

L’initiateur, rusé, l’œil ironique, à la fois ferme et distant, se tient à l’écart, au-dessus. Il sait tout et, à l’image d’un psychanalyste, laisse le néophyte tracer son chemin intérieur, sans intervenir directement. Le travail sur soi est affaire personnelle. Ne rappelle-t-il pas que ces pratiques funéraires, qui autrefois étaient une affaire de famille sont devenu un business, l’affaire de professionnels ? Il y a lieu de se réapproprier les rites : peu à peu des liens intimes se créent entre Daigo et son patron et sa collègue ; et il faudra la mort de la patronne des bains, mère de substitution, et celle de son père pour renouer les liens et rendre au rite sa vraie dimension.

Le rituel funéraire est, comme tout rituel, représentation ; il est ici spectacle donné aux membres de la famille qui y assistent. Au début du cheminement de Daigo, le concert est une forme tout aussi ritualisée de la vie sociale, mais il n’atteint pas la dimension du sacré. L’Hymne à la joie annonce la mort de Daigo à la vie profane, mort rituellement et abruptement mise en scène par deux maîtres de cérémonie qui préfigurent le couple que formera plus tard le jeune homme avec son patron. Daigo se rend alors en un lieu consacré, en marge : la montagne, propice à l’exécution de rites. Et la mise en scène cinématographique, dans laquelle Daigo est propulsé en tant que figurant, constitue pour lui une première épreuve l’invitant à passer dans une autre dimension, après avoir (comme dans les rites de passage) joué le rôle du mort.

Il lui reste à découvrir la beauté du geste qui transfigure les morts et leur confère la pureté. Bien loin de la vision initiale de la charogne, les cérémonies idéalisent de plus en plus, tout au long du film, les corps : Elle n’a jamais été aussi belle !, constate le mari éploré. Jusqu’à la sublimation que constitue la crémation.

L’initiation conduit nécessairement, par-delà la mort symbolique, à une résurrection, à une affirmation de soi et à une réintégration dans la vie sociale. Tel est bien le cas pour Daigo : par la voie de la filiation, la mort engendre la vie.

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Mort et rites de purification

Quel rapport entre la mort et les rites de purification ? Au-delà de la toilette funéraire, cela implique quelque chose de plus profond, de plus intime. Car la mort est souillure…

Rites et rituels

Les rites préviennent le désordre, comme les digues les inondations.
Ki Li (Le Livre des rites)
. Les mots « rite » et « rituel » viennent du latin ritus, à rapprocher de la racine védique rta, arta qui désigne - Claude Rivière le rappelle - l’ordre cosmique : l’ordre des rapports entre les dieux et les hommes, et […] des hommes entre eux. La distinction entre ces deux mots est subtile et il n’est pas possible d’entrer ici dans ce débat. Le rite est une action convenue, fondée sur la tradition, dont l’effet espéré se situe sur un plan irrationnel, s’opposant ainsi aux règles pragmatiques (hygiène, alimentation, répartition du travail…) qui gèrent la vie sociale. Il établit un rapport entre l’individu ou la collectivité et le monde surnaturel, et il est défini par la répétition d’actes codifiés et par la reproduction (en même temps qu’actualisation) de modèles mythiques ou symboliques. Il se matérialise au travers d’éléments concrets : objets, lieux, personnages, gestes…

Jean Cazeneuve définit le rite en rapport avec le « numineux » qui est, selon Rudolph Otto, l'expérience affective du sacré : certains faits échappent à l’ordonnance naturelle des choses, à l’expérience quotidienne, à la rationalité : une éclipse cache le soleil en plein jour, on découvre un animal prodigieux, le malheur s’acharne sur telle personne, la maladie ou la mort se mettent en travers du cours normal de la vie... ? L’homme s’en voit troublé, désemparé, angoissé. Ces incidents, que l’on est incapable de maîtriser, qui sont mystérieux, s’imposent à la conscience, en même temps fascinants et effrayants. Il faut faire appel pour les assumer à un mode d’explication qui ne relève pas de l’expérience quotidienne, et surtout à des pratiques qui échappent à la sphère profane.

faire sonner les cloches pour éloigner la foudre ; déposer un cierge en cas d’épreuve ; déraisonner au moment du carnaval…

En faisant référence à Freud, J. Cazeneuve montre la société tentant de répondre aux traumatismes qui menacent son équilibre, soit en réintégrant un état antérieur, soit en reproduisant, en répétant l’événement traumatisant : une façon de rendre acceptable, supportable un événement qu’on ne peut éviter.

faire un sacrifice pour se rendre propices les dieux ; ensevelir les morts en position fœtale ; énoncer ses péchés au cours de la confession…

Telle serait la raison d’être des rites qui sont omniprésents dans la vie des sociétés traditionnelles, et qui aujourd’hui encore ne cessent de nous faire agir. Ce sont eux qui, toujours et partout, définissent les règles de vie collective. Ils peuvent nêtre positifs (geste à accomplir, offrande, prière…) ou négatifs (tabou, jeûne…). On peut leur reconnaître trois fonctions, selon que l’on cherche à se placer sous la protection de ce qui est numineux (la religion qui met l’homme en accord avec le principe sacré qui le transcende), à s’en servir (la magie) ou à s’en protéger (écarter l’impureté). C’est surtout de cette dernière attitude, fondamentale pour l’esprit humain, qu’il sera ici question.

Les rites répondent à certaines motivations, et notamment aux besoins de :
- se protéger, se rassurer
Le rite cherche avant tout à répondre à l’angoisse et à l’effroi que l’homme ne peut manquer d’éprouver face à l’étrangeté du monde. Le témoignage d’un chaman eskimo, rapporté par M. Kn. Rasmussen, exprime bien ce sentiment : Nous ne croyons pas : nous avons peur ! […] C’est pour cela que nos pères ont hérité de leur père toutes les antiques règles de vie qui sont fondées sur l’expérience et la sagesse des générations. […] Tout ce qui est insolite nous fait peur.

répandre du sel pour se préserver des esprits hostiles ; éviter de se retrouver 13 à table…

- sacraliser, solenniser
Le rite matérialise les limites entre monde profane et sphère sacrée. Il permet de quitter l’un pour accéder à l’autre.

revêtir des habits sacerdotaux pour célébrer une cérémonie, ou des habits neufs pour la nouvelle année ; pendre la crémaillère ; respecter tout l’apparat d’un procès, d’une corrida ou des Jeux Olympiques…

Il peut aussi être simplement question, sur un plan profane, de valoriser.

le port d’un uniforme non seulement pour identifier, mais aussi pour conférer une certaine autorité (le facteur ou la contractuelle) ; le geste en Inde de toucher les pieds d’une personne respectable.

- préserver l’ordre des choses
C’est sans doute là l’essentiel. Il convient de faire comme les dieux ou les ancêtres ont fait à l’origine : juste après avoir donné forme au monde, ils ont défini un certain nombre de règles, de pratiques ou d’interdits qui s’imposent à tout un chacun. C’est l’ordre opposé au chaos originel. Plus quotidiennement, le rite fonde et formalise les relations entre individus. Il cimente le groupe humain : toute transgression, même minime, altère l’ordonnance tout entière, met en danger l’individu, menace l’organisation sociale et l’équilibre naturel.

ne pas consommer, sauf en certaines occasions, l’animal représentant le totem ; ne pas pratiquer l’inceste ; dire bonjour ou avoir une tenue correcte…

Le rite est garant de la régularité des cycles : il souligne le rythme des jours et des saisons, le calendrier (fêtes saisonnières), les imprévus (rites liés aux incidents météorologiques ou épidémiques), les évolutions (rites de passage)...

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L’impur

L’impureté ne doit pas être comprise ici comme ce qui est moralement répréhensible, mais au sens premier comme ce qui est mélangé, ce qui ne respecte pas les catégories reconnues. Peut être considéré comme tel tout ce qui ébranle le système des règles : l’insolite, l’anormal, l’extraordinaire, la nouveauté, aussi bien ce qui bouleverse la structure sociale que ce qui trouble la conscience (le sentiment du péché).

Entrent donc dans cette catégorie non seulement les monstres, terribles et répugnants à voir, qui hantent mythes et légendes, mais aussi les imprévus de la vie, ce qui met en jeu des forces incontrôlées, les altérations dues à l’écoulement du temps et les changements d’état de l’individu (la naissance, la puberté, le mariage, la mort…), ou encore tout ce que l’on a du mal à classer. Le visqueux, ni solide ni liquide, inspire dégoût et rejet, tandis que pour les juifs seuls les animaux ruminants ayant des sabots fourchus peuvent être considérés comme purs (le bœuf, le mouton… mais pas le porc).

Tout aussi incertaines sont les périodes indéfinies de transition, lorsque l’on passe d’un état à un autre, lorsque l’on n’est plus ceci et pas encore cela. A ce titre les passages, de l’enfance à la puberté par exemple, ou de la vie à la mort, sont considérés comme des moments périlleux que le rite est chargé d’exorciser.

on dit que le novice, au cours de l’initiation, « meurt » ; la mise à l’eau d’un paquebot est ritualisée ; de même l’embarquement à bord d’un avion (l’accès à l’espace aérien) s’accompagne de tout un ensemble de gestes et de symboles – formalités administratives, uniforme des hôtesses, service des repas…) – dont la finalité n’est pas simplement utilitaire…

Mary Douglas assimile la saleté à ce qui n’est pas à sa place : Notre comportement vis-à-vis de la pollution consiste à condamner tout objet, toute idée susceptible de jeter la confusion sur, ou de contredire nos précieuses classifications.

la naissance d’un veau à deux têtes ou, dans certaines sociétés, d’un enfant anormal ou de jumeaux ; l’homicide ; l’apparition des règles chez la jeune fille ; la folie…

L’objet ou l’acte impur est à la fois signe et cause de déséquilibre, de malheur. Si l’on tombe malade, c’est qu’il y a eu, consciemment ou inconsciemment, manquement à tel ou tel rite (omission d’un sacrifice, ou bien passage sous une échelle), et il convient d’en rechercher la cause et le responsable, et d’éviter tout contact avec celui-ci. On deviendrait du même coup soi-même dangereux, vecteur d’infortune : l’impureté est par nature contagieuse, comme peut l’être la propagation d’un virus ; qui viole un tabou et touche à l’impureté devient lui-même tabou. Le désordre engendre le désordre. Des règles d’« hygiène », d’isolation s’imposent.

Œdipe est frappé par le malheur parce qu’il est devenu, bien malgré lui, parricide et incestueux. A son tour, il devient source de souillure pour tout ce qui l’entoure, et tant qu’il ne s’exile pas, la ville de Thèbes court à sa perte : Apollon nous enjoint d’extirper de notre terre la souillure qu’elle nourrit ; si nous la laissions croître, elle deviendrait incurable…

Par principe les sécrétions du corps humain sont sources d’impureté. A plus forte raison le sang répandu du fait d’un acte violent ou encore les écoulements périodiques chez la femme. Ces dernières constituent l’impureté majeure dans beaucoup de cultures. Les Maoris par exemple, selon Lévy-Bruhl, considèrent les règles comme un enfant manqué, potentiellement dangereux ; ils associent ainsi la souillure du sang menstruel à la mort.

L’archevêque de Canterbury Théodore déclare au VIIème siècle : Si l’on mange sans le savoir quelque aliment pollué par le sang ou toute autre chose malpropre, ce n’est rien ; mais celui qui le fait consciemment devra faire pénitence, selon le degré de pollution… Et il précise que les femmes doivent se purger quarante jours après l’accouchement, et que toute femme qui entre dans une église ou communie alors qu’elle a ses règles, doit observer trois semaines de jeûne.

Mais il faut préciser qu’il y a continuité entre le souillé et le sacré : l’un et l’autre soulignent des exceptions et inspirent une certaine crainte. Ils représentent ce qui ne doit pas être approché, ce qui est tabou. Le roi divin – le mikado entre autres - est soumis aux mêmes interdits qu’une femme pendant ses règles, ou bien qu’un meurtrier : il ne doit ni toucher le sol, ni s’exposer à la lumière du soleil, ni toucher la nourriture, et tous les objets dont il s’est servi doivent être détruits afin que nul ne risque de les utiliser…

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la purification

Le coupable ne met pas seulement sa propre personne en danger, le trouble qu’il a introduit dans le monde fait tache d’huile autour d’elle, et, en gagnant de proche en proche, détraquerait l’ensemble de l’univers, si le mal ne perdait de sa virulence au fur et à mesure de sa diffusion, si surtout des mesures n’étaient pas prévues et aussitôt mises à exécution pour le circonscrire ou le réparer.
Roger Caillois

Les rites de purification permettent d’écarter toute manifestation « numineuse » qui risque, par contamination, de mettre en danger l’individu et la communauté, et en fait, puisque tout a une cause, visent à réparer une faute commise, une infraction connue ou bien supposée et oubliée. Ils sont essentiels dans les pratiques religieuses. Ils participent d’une expérience initiatique et marquent un passage, autrement dit ils témoignent de la mort à un certain état et de l’accession à un état rénové.

certaines mutilations rituelles matérialisent la soumission à un ordre établi : le yakuza qui a manqué à l’honneur se coupe une phalange ; le baptême, dans l’eau ou avec aspersion d’eau, efface les effets du péché originel…

Il est important de déterminer la cause du mal. Les Grecs s’adressaient pour cela à Apollon, purificateur par excellence et père d’Asklépios, le dieu de la médecine. Les exorcistes cherchent à savoir qui possède le patient ; et il faut noter que, dans certaines langues, « guérir » ou « désensorceler » sont synonymes de « purifier ». Une fois la cause de la souillure identifiée, la réaction la plus immédiate consiste à l’éliminer. On s’écarte, on fuit tout ce qui menace l’ordre établi, qu’il soit humain ou naturel, ou bien on chasse le responsable. On peut aussi canaliser les forces hostiles, au moyen de purifications et grâce au respect de tabous. Tel est le sens, par exemple, de la retraite imposée aux femmes menstruées ou ayant récemment accouché : elles doivent pour un certain temps s’isoler dans des huttes, en bordure des villages.

casser la vaisselle utilisée par la personne souillée ; envoyer au désert le bouc émissaire porteur des péchés de la collectivité ; déposer sur les branches d’un arbre des cailloux représentant une maladie…

Les rituels eux-mêmes accordent une grande place à l’eau, vecteur de la propreté sur le simple plan hygiénique. Bien des maux se soignent, comme à Lourdes, en se baignant dans certaines fontaines ou en en buvant l’eau, ce qui revient à nettoyer l’extérieur ou l’intérieur de la personne. Les juifs, entre autres, pratiquent de nombreux rites de purification qui sont autant de sas permettant au fidèle de passer du monde profane à la sphère spirituelle.

se laver les mains avant la prière du matin et avant de bénir chaque repas ; s’immerger le matin ou la veille du chabat, ou pour les femmes à la suite de leurs périodes menstruelles ou de leurs accouchements, dans le Miqvé, bassin d’eau de pluie ; y tremper le corps des morts avant leur inhumation.

Le baptême est une purification par l’eau au moment d’entrer dans la communauté des chrétiens, tout comme le fait de se signer avec l’eau du bénitier à l’entrée de l’église, la toilette du cadavre ou l’aspersion du corps lors de l’enterrement.

Les musulmans se purifient avant chaque prière, touchant et aspergeant les différentes parties du corps dans un ordre précis, de la tête vers les pieds, en commençant par le côté droit du corps. L’eau utilisée doit elle-même être naturelle et n’avoir eu aucun contact avec des impuretés ou des êtres impurs.

Et le Déluge ne représente-t-il pas, au niveau cosmique, et dans toutes les traditions, la suprême purification de la terre ?

L’Apocalypse annonce de son côté que le mal sera dévoré par un étang de feu et de soufre, qui engendrera un nouveau ciel et une nouvelle terre. Car le feu également efface la souillure. Il semble ainsi que le monde ait besoin d’être purifié chaque fois qu’aux solstices le cours du soleil s’inverse,: c’est ainsi que les feux de la Saint-Jean du 24 juin ont un rôle protecteur au même titre que l’eau du baptême du saint fêté ce jour.

brûler tout ce qui a appartenu au défunt ; allumer des feux rituels, comme celui qui consume le bonhomme Carnaval ; faire brûler de l’encens ; allumer le cierge pascal, symbole de résurrection et de renouveau…

C’est en portant des chandelles en de grandes processions que les Romains honoraient, en attendant le réveil de la nature, le dernier mois de l’année, février ; or februare signifie « purifier ». De même chez les Celtes, on célébrait Imbolc le 1er février en parcourant les champs avec des flambeaux et en priant la déesse Brigid de purifier la terre avant les semailles. A leur tour les chrétiens célèbrent le 2 février la Chandeleur en allumant des cierges : il s’agit de la Purification de la Vierge, ses relevailles après ses couches, sa réintégration à la vie sociale et religieuse après en avoir été exclue pendant 40 jours.

La purification peut encore être effectuée par le sang. Les fidèles de Mithra étaient aspergés par celui du taureau ; tous les sacrifices, animaux ou humains, qui sollicitent le pardon et la protection des êtres supérieurs, ont toujours une fonction purificatrice, à commencer par le sacrifice par excellence, celui du Christ qui rachète tous les péchés du monde.

L’abstinence (le jeûne ou les 40 jours de carême précédant les grandes fêtes) permet également, comme la confession, de restaurer son intégrité, sans qu’il y ait là nécessairement, note J. Cazeneuve, un acte de repentir ou d’expiation : confesser publiquement une souillure, c’est s’en débarrasser. Dans tous les cas, l’efficacité du rite repose sur la justesse du geste plus que sur les intentions.

le guerrier doit souvent rester continent, et parfois jeûner avant de partir en campagne ; le ramadan est un mois de purification…

Outre la nécessité de rétablir symboliquement la virginité de ce qui a été souillé, les rites de purification garantissent l’intégrité de tout ce qui relève du domaine du sacré : les lieux, les personnes, les objets, les actes.

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Le scandale de la mort

Notre chair change bientôt de nature ; notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu’il nous montre quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps ; il devient un je ne sais quoi qui n’a de nom dans aucune langue.
Bossuet

Parmi tout l’ensemble des rites funéraires, nombreux et complexes, qui permettent à la fois de se séparer du défunt et de l’aider à accéder à sa nouvelle condition, il faut distinguer les rites de purification. Selon J. Cazeneuve, la mort est une des manifestations les plus caractéristiques du numineux impur […] la plus grande des souillures, qui se répand par contagion. En latin, le mot funus, que nous retrouvons dans « funeste », traduisait aussi bien « funérailles » que « cadavre » ou « meurtre ».

Le cadavre, impur par excellence, souvent perçu comme répugnant, est partout l’objet d’attentions particulières. Il peut être exhibé, préservé ou au contraire voué à une dégradation accélérée. Les zoroastriens considèrent qu’il ne doit même pas souiller la terre ; ils exposent leurs morts au sommet de « tours du silence », à la merci des vautours. En Occident, les tombes ont longtemps été rejetées en-dehors, loin des villes ; ce n’est qu’à partir du VIème siècle que chez nous les morts, promis à la résurrection des corps, ont pu être ensevelis auprès de la communauté des vivants, voire dans les sanctuaires.

Parmi les rites élémentaires relatifs à la mort, le plus universel est sans doute la toilette du corps. Très souvent ceux qui sont chargés du soin des cadavres ne doivent pas appartenir à la phratrie, au groupe social du mort, et tout contact avec eux, même involontaire, peut être lourd de conséquence. Frazer note par exemple que chez les Maoris, quiconque avait touché un cadavre, avait aidé à le transporter à la tombe, ou touché les ossements d’un mort, était privé de tout commerce et presque de toute communication avec le reste des humains. Il ne pouvait entrer dans une maison, ni toucher personne, ni aucun objet, sans les profaner totalement. Il ne pouvait même pas toucher ses aliments de ses mains, devenues si impures qu’elles ne servaient absolument plus à rien…

en Inde, ce sont les intouchables qui prennent en charge les crémations ; dans la Chine ancienne, celui qui s’occupe des morts ne doit pas appartenir au même signe astrologique que le défunt ; au Japon, les métiers liés au sang et à la mort (croque-mort, bourreau, boucher…) étaient réservés à la communauté des burakumin, comprenant les eta (« très sales ») et les hinin (« non-humains »)…

La première vocation des signes de deuil (le noir, l’interdiction de se raser ou de se laver…) pourrait bien être de désigner les proches du mort comme impurs. Des interdits frappaient, dans diverses sociétés, les personnes en deuil, pendant plusieurs jours voire des mois, tant que le temps de la souillure n’était pas épuisé, et que les rites de purification n’avaient pas été accomplis : elles devaient vivre à l’écart de la société, ne pas être touchées ni même vues, frapper les arbres avec un bâton pour avertir de leur passage, éviter tout rapport sexuel… Ces interdits ne sont pas sans rappeler ceux qui s’appliquaient aux femmes menstruées ou aux représentants du sacré, ou encore la crécelle ou la patte d’oie qui autrefois signalaient les lépreux (comme plus récemment l’étoile jaune pour les juifs).

Les rites post-mortem sont partout très importants, et cela autant pour se protéger de la pollution de la mort que pour assurer aux défunts un heureux passage vers l’au-delà, souhait qui se conjugue avec la crainte de les voir revenir hanter leurs proches. Il s’agit encore là d’un souci d’ordre : on doit entériner l’équilibre nouveau qui s’est imposé, s’assurer que le mort est bien parti, et l’empêcher de faire des allers-retours entre les deux mondes en ignorant l’obligatoire distinction entre morts et vifs.

lorsqu’il y avait un décès dans une maison, on voilait les miroirs, vidait les cuvettes d’eau, perçait éventuellement des portes pour sortir le corps, et suivait des chemins détournés pour l’emmener au cimetière ; quand on ne le brûle ni ne le donne à dévorer aux vautours, le corps est soigneusement enfermé dans un cercueil, enterré six feet under, et, s’il y a risque de vampirisme, solidement rivé au sol au moyen d’un pieu…

Traditionnellement les rites funéraires comportent deux moments, qui peuvent être fort espacés dans le temps, parfois des années :
- les « premières funérailles » qui ont pour but de « tuer le mort », en fait de le soustraire à la communauté tandis que son corps se décompose. Pendant que le cadavre pourrit, à la fois sali et salissant, il est en même temps terriblement vulnérable et dangereux, note L.-V. Thomas. Le corps - exposé, ou provisoirement enseveli en une terre non consacrée, ou abandonné dans un lieu reculé d’où il ne peut revenir - est objet à la fois de sollicitude et de rejet, tandis que les proches, en deuil, sont écartés de la vie sociale.
- les « doubles funérailles » dont la célébration confirme la mort définitive : la fin de la souillure, la levée du deuil (qui fait écho aux relevailles de la jeune mère), et la minéralisation des restes corporels. Ceux-ci peuvent alors recevoir les ultimes soins et rejoindre les os de la communauté. Désormais le défunt est reconnu comme un ancêtre (ou un saint dont les reliques sont vénérées) ; d’objet de rejet, il devient puissance tutélaire. La réunion de famille à l’occasion de la messe anniversaire pourrait être, chez nous, une survivance de cette coutume.

Au-delà de l’anxiété inhérente au spectacle de la mort, les rites bien entendu visent aussi à rassurer les vivants, à les conforter dans leur situation de « survivants ». En solennisant les funérailles, en imposant un certain ordre, ils leur permettent d’accepter et de sublimer la réalité de la mort.

Certaines circonstances enfin, elles-mêmes exceptionnelles – les fêtes des morts, Halloween… - permettent d’entrer en lien avec les morts, de même que, dans certaines sociétés, la consommation de l’animal totem, normalement interdite, se trouve parfois préconisée.

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Les rites au fil de l’histoire

Les rites sont présents dans toutes les cultures et peuvent prendre les formes les plus diverses. Ils sont nécessaires à la cohésion sociale ; ils répondent à des préoccupations constantes et leurs finalités sont souvent convergentes.

Les sociétés traditionnelles ont une approche globale des rites, et ceux-ci participent de leur conception du monde, de leurs mythes et symboles fondateurs. On assiste avec le temps à un émiettement des pratiques rituelles qui se trouvent coupées de leurs racines et de leurs justifications profondes. Il y a en même temps moralisation : les notions de pur et d’impur changent de sens ; initialement qualitatives, elles deviennent éthiques ; le souci de l’ordre naturel du monde fait place à la défense du bon, du juste ou du beau. La dimension religieuse du rite s’érode pour faire place à une fonction purement sociale, voire ludique. Il y a en même temps transfert des formes du ritualisme vers des manifestations laïques touchant plus à l’embrigadement des masses que d’un mouvement participatif : la Révolution a substitué le culte de l’Etre Suprême aux fastes cléricaux, et les pouvoirs dictatoriaux, nazis ou communistes, ont bien compris l’importance de ce type de célébrations.

Sur le plan intime, les rites liés à l’impureté tendent à faire place aux règles d’hygiène ou au rejet de la différence, en gardant souvent les mêmes formes (se purifier en se lavant les mains avant les repas ; mettre à l’écart, expulser ou éliminer les personnes ne correspondant pas à la norme ethnique ou sociale).

Fondamentalement la corruption provenait d’un défaut dans l’ordonnancement du monde, et cela pouvait être voulu, délibéré de la part des hommes ou des dieux, ou bien accidentel ; le rite visait à remettre les choses en place. Puis l’impureté fut l’effet du dérèglement de la conduite humaine, de l’hybris, la démesure selon les Grecs. La faute exigeait une expiation rituelle. Le christianisme affirma que le péché - le mal - était inhérent à la nature humaine, et la purification passait par les sacrements. Depuis Rousseau, on voudrait croire que l’homme est initialement pur, sans péché, mais les rites de purification ont perduré : la justice ne peut pas se passer de cérémonial, et les exécutions capitales ont toujours respecté des protocoles très précis. On pourrait même dire qu’on en revient, sous le nom de purification ethnique, au sacrifice humain, mais effectué de façon collective, massive. Il semble bien que les rites, garants d’une certaine cohésion sociale, ne peuvent manquer de rester étrangers aux valeurs morales et sont immanquablement sources d’abus et d’injustices.

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Actualité des rites

Les rites sont-ils toujours d’actualité ? Et première question : l’angoisse existe-t-elle encore ? Certes la fée électricité a fait reculer l’obscurité, et l’on propose des explications rationnelles pour bien des choses : les catastrophes naturelles, les maladies, et peut-être même la mort. Encore que… On n’en parle pas moins de stress et les films fantastiques et d’horreur répondent à des sentiments bien présents dans la conscience collective.

A supposer que les religions soient devenues moins formalistes, les rites n’ont pas pour autant perdu leurs raisons d’être. Des grandioses cérémonies aux petits gestes, ils se sont peu à peu émancipés de leurs antécédents religieux. Mais ils sont loin d’être anodins et inoffensifs, si l’on considère l’avènement de régimes totalitaires qui répondent à des situations de crise en s’inventant leurs propres signes de reconnaissance, en mettant en scène des célébrations destinées à fonder un nouvel ordre et en « éliminant » leurs boucs émissaires.

Les rites se distancient par rapport au sacré. Ils peuvent tourner au formalisme. Que subsiste-t-il donc, dans notre société moderne, de ces pratiques futiles qui gaspillent l’énergie et le temps des hommes, comme le dit J. Cazeneuve, et qui pourtant sont essentielles ?

Erwin Goffman met l’accent sur les rites d’interaction : notre vie est réglée par une multitude de comportements rassurants qui conjurent l’agressivité latente de chacun et permettent de vivre ensemble : dire bonjour, serrer la main, tenir la porte pour celui qui suit… L’intégrité morale des individus et la cohésion de la société sont encore assurées par la prégnance de ces petits rites quotidiens qui rythment nos jours (métro boulot dodo…) et dont la perte (chômage, retraite) peut désorienter voire angoisser.

Des codes vestimentaires, des normes de comportement s’imposent pour garantir l’ordre social, qu’il s’agisse de se conformer aux usages ou à la mode, de signaler sa fonction sociale (l’uniforme du militaire ou la blouse blanche du pharmacien) ou de s’imposer en tant que marginaux (conduites atypiques, attitudes provocatrices, piercings…). Les rites magiques - superstitions, grigris ou autre porte-bonheur – déterminent encore bien des comportements. Certaines fêtes disparaissent, mais d’autres, tout aussi ritualisées, s’imposent et peuvent impliquer toute la communauté (Fête de la Musique, manifestations sportives…). Et les rites de passage sont toujours observés, qu’il s’agisse de baptêmes civils, de pots de départ en retraite, d’enterrements de vie de garçon, de bizutages (ou « week-ends d’intégration »)… On pourrait encore citer les concerts de klaxons à l’occasion de victoires sportives ou de mariages, la montée des marches à Cannes, les réveillons copieusement arrosés et les voitures incendiées de la Saint-Sylvestre, les slogans formatés et les parcours obligés pour les manifestations sociales…

Les rites religieux eux-mêmes restent malgré tout influents, si l’on considère la montée des fondamentalismes, la prolifération des sectes, la perpétuité et le renouveau par exemple des pardons en Bretagne ou des pèlerinages.

Parmi les rites, ceux de purification semblent tombés en désuétude. On a pu avancer qu’au-delà de la simple hygiène, le port de vêtements particuliers et le passage par une sorte de sas - le vestiaire ou la douche - avant ou après la pratique sportive, pouvaient être assimilés à des gestes de purification, de même qu’une ablution ou le fait d’ôter ses chaussures permet sur le plan religieux de passer du monde profane au domaine du sacré. Cela peut être exagéré. Il n’en reste pas moins que ce que l’on présente comme des règles d’hygiène perpétuent souvent des pratiques rituelles de purification et peuvent être perçues comme telles.

Les rites d’évitement pour les femmes menstruées ne sont plus d’actualité chez nous ; on n’en a pas pour autant oublié qu’elles doivent éviter de faire une mayonnaise ou de tirer le vin…

Les morts, eux aussi, semblent ne plus être porteurs de souillure ; ils n’en sont pas moins écartés de la communauté : Nul ne peut, sans autorisation, élever aucune habitation ni creuser aucun puits à moins de 100 mètres des nouveaux cimetières transférés hors des communes, nous dit l’article L 361-4 du Code des communes. Souci d’hygiène, ou bien problème d’espace vital ? Il semble bien qu’il y ait là, du fait de l’angoisse que la mort ne peut manquer de susciter, un rite d’évitement qui peut aussi se traduire dans l’isolement imposé aux agonisants à l’hôpital, loin des vivants qu’ils pourraient « contaminer », dans la désinfection de la chambre où s’est produit un décès - laquelle n’a pas plus de justification bactériologique que pour tous les malades à leur sortie de l’Hôpital - ou dans la discrétion des cortèges funéraires. La société moderne permet d’effacer tous les signes, autrefois visibles et ostentatoires, qu’il fallait conjurer. Les rites liés à la mort, de plus en plus minimisés, ne se résument-ils pas aujourd’hui dans ce rite suprême qu’est l’occultation, que ce soit dans les pratiques (dissimuler l’agonie) ou dans les mots (on parle du « défunt », on dit qu’« il nous a quittés ») ?

A l’inverse la mort peut s’afficher, devenir spectacle, come dans les hommages rendus à l’occasion du décès de telle ou telle célébrité, qu’on avait éventuellement oubliée et dont le souvenir est ainsi ranimé. D’autre part les rites d’exposition propres à de nombreuses sociétés, qui montraient le cadavre dans l’exercice de sa fonction (le roi sur son trône ou l’agriculteur avec ses instruments aratoires), réapparaissent avec la thanatopraxie (ou « art restauratif ») qui permet de préserver le corps des défunts de la décomposition, et de les présenter avec l'apparence de la vie pour les funérailles (le PDG à son bureau), sans parler de l’exposition Our Body qui, en exhibant des cadavres, fait couler beaucoup d’encre.

La mort enfin, et le fait de donner la mort sont omniprésents à la télévision ou dans les films. Il y a là mise en scène du « numineux », avec ce que cela suppose, pour le spectateur, d’à la fois effrayant et fascinant. Ces moments, a priori vécus comme des actes majeurs, sont destinés à être ritualisés. Reste à savoir dans quelle mesure les codes de la maffia, la banalisation des fusillades ou la surenchère dans le macabre des films gore, sont capables de répondre à l’angoisse propre à notre temps ?

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biblio-filmographie

Livres

Jean CAZENEUVE, Sociologie du rite, PUF, 1971
Jean CAZENEUVE, Les Rites et la condition humaine, PUF, 1958
Mary DOUGLAS, De la souillure, Maspéro, 1971
Martine SEGALEN, Rites et rituels contemporains, Nathan 1998
Arnold VAN GENNEP, Les Rites de passage, Emile Nourry, 1909


Louis-Vincent THOMAS, Les Chairs de la mort, Institut d'Edition, 2000
Claude RIVIERE, Socio-anthropologie des religions, Armand Colin, 1997
Roger CAILLOIS, L'Homme et le sacré, Gallimard, 1950
James FRAZER, Le Rameau d'or, 1911 - 1915
Erwin GOFFMAN, Les Rites d'interaction, Editions de Minuit, 1974
Pascal LARDELLIER, Les nouveaux Rites, Belin, 2005
Julian HUXLEY (dir.), Le Comportement rituel chez l'homme et l'animal, Gallimard, 1971
Gaston BACHELARD, L'eau et les Rêves, Ed Corti
Brigitte CAULIER, L'eau et le Sacré, les cultes thérapeutiques autour des fontaines en France du Moyen Age à nos jours, Ed. Beauchesne 1962

Films

Hirokazu KORE-EDA, Still walking, 2009
Frédéric CHAUDIER, Les Yeux ouverts, 2010
Carl DREYER, Ordet, 1943
François TRUFFAUT, La Chambre verte, 1978
John BOORMAN, La Forêt d'émeraude, 1985
Ousmane SEMBENE, Moolaade, 2002
Dani KOUYATE, Sia, le rêve du python, 2001
Satyajit RAY, La Déesse, 1960
Shohei IMAMURA, La Ballade de Narayama, 1983
Masaki KOBAYASHI, Harakiri, 1962
Hayao MIYAZAKI, Princesse Mononoké, 1997
Anjali MENON, Lucky red Seeds, 2009
Friedrich-Wilhelm MURNAU, Tabou, 1931
Ronit et Shlomi ELKABETZ, Les sept Jours, 2007
Katell QUILLÉVÉRÉ, Un poison violent, 2010
Robin HARDY, The wicker Man, 1973
Roberto ROSSELLINI, La Prise du pouvoir par Louis XIV, 1966
Thierry ZÉNO , Jean-Paul FERBUS, Dominique GARNY, Des Morts, 1979
Don SHARP, Le Baiser du vampire, 1963

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Programme 2010

departures

(Okuribito)
Japon - 2008 - 131 minutes couleurs
Drame initiatique

Réalisation : Yojiro Takita
Scénario : Kundo Koyama, d'après Shinmon Aoki
Image : Takeshi Hamada
Musique
: Joe Hisaishi
Interprètes : Masahiro Motoki (Daigo Kobayashi), Ryoko Hirosue (Mika Kobayashi), Tsutomu Yamazaki (Ikuei Sasaki)

SUJET
Daigo, un jeune violoncelliste au chômage, revient, avec sa femme Mika, dans son village natal. Recherchant un nouveau travail, il répond à une petite annonce énigmatique parlant d'"aide aux départs". Engagé sur le champ, il s'aperçoit vite qu'il doit préparer le corps des morts pour leur ultime voyage. Plongé dans ce monde peu connu, il va découvrir les rites funéraires, tout en cachant à sa femme sa nouvelle activité, en grande partie taboue au Japon. Mais Daigo découvre la beauté et l'importance de ces gestes qui l'amèneront à se réconcilier avec ses proches et avec lui-même.