le sublime amour
du mardi 12 au mardi 19 avril 2011
Une semaine à l'heure indienne
mardi 12 avril , 20h15 : Film
Sita chante le blues (USA, Inde, 82 min.) de Nina Paley, avec présentation et débat en présence de Wendy Cutler.
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,30 €, réduit 5,90 €, carnets 5 € ou 4,40 €
mercredi 13 avril, 19h : Dîner - lecture - musique
Sublime amour et littérature par Ghislaine Le Dizès, poète, nouvelliste, et romancière, et Samuel Lebrun, journaliste radio, réalisateur de films, enseignant en expression orale, lecteur professionnel, avec l'accompagnement musical de Jean Desaire, guitare modifiée, musicien compositeur à la croisée de chemins d'Orient et d'Occident.
Sur des textes de : Kabir,Ghislaine Le Dizès, Bettina von Arnim, Élisabeth Browning, Jacques de Bourbon-Busset, Christian Bobin, Reiner Maria Rilke, Marguerite Porete, Rabindranath Tagore, Jacqueline Kelen, ainsi que des extraits du Cantique des Cantiques, et de la Thiruppavai.
restaurant India, 4 rue Hanneloup
voir le programme complet
prix du repas, à la carte - réservation : 02 41 86 70 80
jeudi 14 avril, 18h30 : Conférence
Les unions mystiques de l’âme, par Lorine Bost
et Philippe Parrain
La mythologie hindoue chante les jeux érotiques de Râdhâ et de Krishna, et l’indéfectible amour de Sitâ pour Râma. Les dévots y reconnaissent l’union de l’âme avec le divin. Le Cantique des cantiques se situe sur le même registre, et l’on peut se demander s’il ne faut pas lire de la même façon tous ces mythes, légendes et récits qui idéalisent l’amour.
Institut Municipal, place Saint-Eloi
Gratuit
samedi 16 avril : Initiation à la danse indienne (Bharata Natyam) par
Shrimati Anandi NICOLAS, danseuse professionnelle et professeur diplômée de Bharata Natyam
www.menkali.com
- 14h30 : Conférence
Le Bharata Natyam, entre transmission et incarnation
Espace Welcome, 4 place Maurice Sailland, Angers
Conférence suivie d'un cocktail indien - 5 €
- 16h : Atelier danse
CNDC, 28 rue Bodinier, Angers
25 € (incluant la conférence) - réservation au 02 41 86 70 80, 5 € à l'inscription
lundi 18 avril, de 20h à 22h : Atelier d'écriture
avec Clodine Bonnet (Porte-Plume)
Cinélégende, 51 rue Desjardins, Angers
Participation :15 € et 12 € (inscription, trois jours à l'avance : 06 24 78 19 07)
mardi 19 avril, 20h15 : Film
Devdas (Inde, 180 min.) de Sanjay Leela Bhansali, avec présentation et débat en présence de Wendy Cutler.
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,30 €, réduit 5,90 €, carnets 5 € ou 4,40 €
vendredi 22 avril, 10h : Conférence en anglais
Women in Indian Popular Cinema: the role of the courtesan/Les Femmes dans le cinéma populaire indien : le rôle de la courtisane, par Wendy Cutler, doctorante à l'UCO d'Angers, membre du laboratoire CIRHILL, dont la thèse porte sur "Les films bollywoodiens et les mythes modernes" .
Cette communication aura comme thème central la femme indienne : peut-elle être considérée comme une vamp ou une victime (Aruna Vasudev) dans le cinéma populaire indien ? En nous focalisant sur l'archétype de la courtisane, immortalisé par Devdas, nous nous intéresserons à l'amour dévotionnel qu'elle porte envers le héros mais qu'elle ne reçoit jamais en retour. Quelle place occupe-t-elle au sein du triangle amoureux ? Est-elle simplement un objet de désir ?
Bibliothèque Anglophone, 60 rue Boisnet
Gratuit
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Commentaires
Avec Luna Papa, Cinélégende a déjà évoqué l'amour des dieux pour les humain(e)s. La créature elle aussi peut éprouver de l'amour pour la divinité, pour ce qui est plus haut, plus grand qu'elle ; un amour mystique, ou bien un amour dévotionnel qui s'opposent à l'amour ordinaire, d'égal à égal : l'amour dévorant de Sita pour Rama ou de sainte Thérèse pour le Christ, celui de Tristan pour Iseult, ou celui de ces fans prêts à donner leur vie pour leur idole.
Cet amour sublimé, célébré par les religions, glorifié dans les romans, a-t-il encore sa place dans une société ancrée dans l'individualisme, qui voudrait rationaliser les rapports amoureux ?
Magnifie-t-il l'individu, et lui apporte-t-il un moyen d'épanouissement ? Ou bien le conduit-il nécessairement à un état de soumission, à son propre anéantissement, à la mort ?
Et tout d'abord, quelle est la spécificité de ce sublime amour ? Question métaphysique qu'il ne peut être question de traiter ici. Simplement l'illustrer au travers de mythes et de légendes, et de certaines de ses manifestations passées ou actuelles.
Sita chante le blues
Sita chante le blues a été entièrement scénarisé, réalisé, animé et monté par Nina Paley, qui y juxtapose habilement différents types d'animation. Le récit regorge d'allusions, et l'image, comme la bande son (musiques, voix, bruitages…), ne cessent de faire réagir entre elles époques et cultures (le singe Hanuman faisant des claquettes, ou, à l'entracte, l'ermite achetant des pop-corns et Sita se rendant aux toilettes !).
Le film propose une juste distanciation par rapport au texte fondateur qu'il actualise : sans être iconoclaste, une salutaire désacralisation des mythes. Il suggère entre autres la question de l'interprétation, parfois problématique, qui peut en être proposée.
Pour faire face aux problèmes de diffusion, la réalisatrice a fait un pari qui pourrait faire école : offrir le film aux internautes, comptant sur eux pour en parler et en favoriser la distribution. Pari gagné si l'on en juge par l'accueil que lui a fait le public, car le voir sur son ordinateur ne saurait remplacer la vision sur grand écran.
Ce film a reçu le Cristal du long métrage (le premier prix) au Festival international du film d'animation d' Annecy en 2008.
Devdas
Devdas est un classique de la littérature bengalie, plusieurs fois adapté à l'écran. Bien plus qu'un simple drame social ou qu'une histoire apparentée à Roméo et Juliette, il s'affirme comme l'illustration d'un mythe. Par-delà la force romanesque de l'histoire d'amour entre les deux héros, il propose un deuxième niveau de lecture ouvrant sur une symbolique religieuse et mythologique.
Le cinéma indien, qui tient une place importante dans la vie et la culture du sous-continent, prend souvent en compte cette dimension mythique. Même s'ils insistent sur le multi-confessionnalisme et s'ils puisent à de multiples sources, indiennes ou occidentales, nombre de films y reflètent la culture traditionnelle hindoue. Celui de S.L. Bhansali est emblématique du cinéma indien, et notamment de « Bollywood » (contraction de « Bombay », où se trouvent les grands studios, et de « Hollywood ») :
- L'Inde est le premier producteur de films au monde. Chaque état produit ses propres films, parlant autant de langues différentes.
- Certains réalisateurs, dans le sillage de Satyajit Ray, défendent un cinéma indépendant, artistiquement ou politiquement engagé.
- Les films en hindi, diffusés dans tout le pays et à l'étranger, représentent la part la plus importante, en nombre et en investissements, de la production. Ils se caractérisent entre autres par leur longueur, le mélange des genres et le recours systématique à des séquences chantées et dansées.
Thèmes mytho-légendaires
La déesse Durga (ouverture de Devdas) |
Il ne faut pas oublier qu'en Inde, et notamment dans le cinéma indien, tout peut être interprété à la lumière de la religion. Ce point de vue « supérieur » peut être suggéré par la récurrence dans Devdas des vues plongeantes de la caméra, à la verticale. Deux figures mythiques, objet d'une égale ferveur en Inde, se trouvent au cœur de ces deux films : Rama et Krishna.
Rama, septième avatar de Vishnu, image de l'homme parfait, est l'objet d'une grande dévotion, tandis que Sita est devenue le modèle de toutes les épouses hindoues, et Hanuman, le dieu-singe, celui de la fidélité.
Krishna, huitième avatar de Vishnu, est vénéré comme un dieu ; il est fréquemment représenté jouant de la flûte et séduisant les gopis, les gardiennes de troupeaux de Vrindavan. C'est aussi lui qui, dans la Bhagavad-Gita, enseigne le dharma à Arjuna.
Le mariage de Rama et Sita (imagerie populaire) |
- Rama était destiné à devenir roi d'Ayodhya, mais la nouvelle épouse de son père lui substitue son propre fils et exige pour Rama un exil de douze années dans la forêt. Son épouse Sita l'y accompagne. Le démon Ravana, s'empare de Sita par la force pour l'emporter sur l'île de Lanka dont il est roi. Avec l'aide d'Hanuman, le dieu des singes, Rama entreprend d'aller la délivrer. L'armée de Ravana est finalement écrasée. La période de l'exil étant terminée, le couple retourne à Ayodhya et Rama reprend sa couronne.
Sita vénérant Rama, dans Sita chante le blues |
Le rapport au film est immédiat. Nina reste attachée au souvenir de celui qui l'a quittée, de même que Sita reste entièrement dévouée à son super héros qui, d'une simple pichenette, vient à bout de tous les démons.
- Devdas peut être assimilé, en tant que héros, à Rama, ce que confirme le nom de leurs mères respectives : Kausalya. Mais le film fait surtout référence à Krishna :
Le dieu Krishna (imagerie populaire) |
L'effervescence qui règne dans la maison à l'annonce du retour de Devdas, fait directement écho à
Les Gopis cherchant Krishna (miniature indienne) |
Photogramme de Devdas : Devdas et Paro |
Krishna est notamment révéré, dans la tradition hindoue, par les chants dévotionnels et la danse ; ce qui se confirme dans Devdas. Deux scènes dansées, dans deux styles différents (classique, inspiré par le bharata natyam, au début, et kathak, une danse de cour, par la courtisane), illustrent les amours de Radha et Krishna. On relève dans la première chanson de Paro une pure expression de la passion mystique : Tandis qu'ici je me consumais…, soulignée par les cheveux dénoués, signes d'un total abandon à la divinité, tels ceux de Marie-Madeleine débordant d'amour pour Jésus. La fin de la chanson, avec les poudres colorées, se réfère de façon évidente à la fête du Holi, qui célèbre les jeux de Krishna en même temps que le retour du printemps. Et la nuit de noces non consommée - telle celle d'Iseult et du roi Marc - permettra à Paro de rester chastement fidèle à Devdas.
Symboles également de l'ardeur et la ferveur qui embrasent les âmes, toutes ces flammes (lampes ou brasiers) qui jalonnent le film, ainsi que l'importance du rouge, notamment dans la séquence finale, qui sublime la passion amoureuse. Comme Paro au début du film, Chandramukhi, la courtisane aimante, ne cesse de voir Devdas, qui a disparu, dans la flamme des lampes. Même l'ivresse, prônée par Chanu, sublime l'élan mystique. Le poète Omar Khayyâm ne disait-il pas la même chose?
Comme dans le Ramayana ou dans le Cantique des cantiques, l'âme humaine est ici féminine :
Photogramme de Devdas : Paro |
La quête du sublime
Qu'il me baise des baisers de sa bouche !
Oui, tes étreintes sont meilleures que le vin.
Tes parfums ont une odeur suave ; ton nom est un parfum qui se répand ; c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.
Entraîne-moi derrière toi, courons !
Le roi m'a fait venir en ses appartements.
Jubilons, réjouissons-nous en toi !
Nous célèbrerons ton amour mieux que le vin !
Le Cantique des cantiques
Pour les physiciens, la sublimation est le passage d'un corps de l'état solide à l'état gazeux, sans passer par l'état liquide : une transmutation subite de la matière vers quelque chose de plus subtil, en quelque sorte de plus pur. Les psychanalystes y voient la dérivation de la pulsion sexuelle ou agressive vers un objet moins trivial, par exemple dans une création artistique.
L'amour aussi peut se voir sublimé. La conclusion des contes, « Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants », ne saurait étancher la soif d'un « grand amour », celui qui a animé Tristan et Iseult.
Dans un roman « romanesque », le fondement de l'histoire, qui suscite la fascination du lecteur, repose sur la présence de l'obstacle. Elle manifeste la pression de la mort face à la vie ordinaire qui, elle, est sans histoire.
L'amour courtois
Seigneurs, vous plaît-il d'entendre beau conte d'amour et de mort?
C'est de Tristan et d'Iseut la reine.
Écoutez comment à grand'joie, à grand deuil, ils s'aimèrent,
puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui.
Joseph Bédier, Le Roman de Tristan et Iseut
Mais quand et comment l'idée de ce sublime amour s'est-elle d'abord instillée dans nos esprits, dans notre culture ? Denis de Rougemont le date précisément : c'est au XIIe siècle qu'en Occident la littérature courtoise a choisi de célébrer la Dame et de prôner la dévotion inconditionnelle que lui porte le chevalier. En même temps se développait le culte de la (femme) Vierge : le moine devenait le chevalier de Marie. Et c'est l'influence hérétique des cathares qui se serait ainsi exprimée, une spiritualité qui aurait revivifié une religion antérieure répandue depuis l'Indus jusqu'au monde celte.
Le catharisme prend ses racines en orient, dans le manichéisme iranien qui dissocie le royaume de la lumière (le royaume divin), et le royaume des ténèbres (le royaume de la matière). Au commencement, lumière et ténèbres coexistent sans se mêler. Mais un jour les ténèbres pénètrent la lumière. Ainsi apparaît l'homme dont l'esprit participe de la lumière et le corps des ténèbres. Pour lui ce monde tangible est néfaste et seule la mort peut l'en délivrer ; c'est elle qui procure la libération de l'esprit. Les cathares professent donc le retrait vis-à-vis de la vie sensible, le mépris du corps, l'abstinence et la chasteté. En même temps ils idéalisent l'âme : le manichéisme parle d'une jeune fille éblouissante de beauté qui attend le fidèle sur le pont de l'au-delà et qui lui déclare : Je suis toi-même !
Le roi Marc épiant Tristan et Iseult (bas-relief du musée du Louvre) |
C'est à la cour des seigneurs cathares que les troubadours trouvent leur inspiration. La fin'amor qu'ils chantent est un amour sublimé qui implique la chasteté, un culte laïc à la dame dont la beauté absolue devient manifestation du divin. Il symbolise l'élan de l'âme humaine vers l'amour de Dieu. Et le fini, le corps, ne pouvant se fondre dans l'infini, c'est par la mort, qui libère l'âme, que l'on est susceptible de rejoindre l'inaccessible, de réaliser la communion avec l'Etre aimé. Dès lors, dans la poésie des troubadours, la passion doit amener le cœur d'amour épris (pour reprendre la formulation du roi René) à surpasser son désir pour la dame afin d'éprouver pour elle un amour raffiné, profond, véritable, un amour parfait, transposé sur un plan supérieur ; un amour chevaleresque qui s'élève à la même hauteur que l'idéal religieux. Cet amour est rare et nécessairement incompatible avec l'institution du mariage : qu'il reste chaste ou non, il s'adresse à une dame déjà mariée et s'affirme ainsi en adultère réel ou symbolique.
Lancelot et Guenièvre (manuscrit de la Bibliothèque Nationale) |
Rougemont considère ainsi que l'amour-passion glorifié par le mythe fut réellement au XIIe siècle une religion dans toute la force de ce terme, et spécialement une hérésie chrétienne historiquement déterminée.
Toutes les religions connues en fait tendent à sublimer l'homme, et aboutissent à condamner sa vie « finie »… Selon l'islam, une créature finie ne peut aimer que le fini. Seul le christianisme, par le dogme de l'Incarnation, renverse cette dialectique : Dieu s'est fait homme ; le monde matériel, concret, s'en trouve sanctifié ; l'agapè, l'amour du prochain se substitue à l'éros, l'« amour de loin ».
L'amour mystique
Ô brûlure suave,
Ô plaie délicieuse,
Ô douce main, ô touche délicate,
Qui paye toute dette !
Qui donne la mort et change la mort en vie !
Saint Jean de la Croix, La vive Flamme d'amour
Le miracle de la lactation de saint Bernard) |
Saint François d'Assise à son tour découvre les joies et les tourments de la contemplation extatique, jusqu'à recevoir en sa chair les stigmates de la Crucifixion ; pendant des siècles l'amour mystique va enflammer saints et saintes, atteignant des sommets de ferveur avec Jean de la Croix et Thérèse d'Avila. C'est cette dernière qui affirme que l'âme doit penser comme s'il n'y avait que Dieu et elle au monde, tout comme Iseult, auprès de Tristan, constatait : Nous avons perdu le monde, et le monde nous.
Car ce sublime amour est exclusif, il arrache l'adorateur à son environnement. Tel est étymologiquement l'en-thousiasme («dans», «dieu») : l'état de l'homme qui se plonge dans la divinité , ou bien en qui la divinité pénètre. En même temps il est dicté par la « passion », dans le sens originel du terme : « ce que l'on subit malgré soi », aussi bien que « ce qui fait souffrir ». Comme la Passion, il mène inéluctablement à la mort, à l'ultime fusion de l'homme avec Dieu. L'amour mystique, tout exaltant qu'il soit, reste intimement associé à la souffrance et à la mort, une mort transfigurante, tout comme dans la légende de Tristan.
Cette mystique de l'ivresse sentimentale ressurgit chez une Thérèse de Lisieux, ou bien dans les phénomènes d'apparitions qui trahissent de la part des visionnaires une attente d'amour sublimé, en même temps que d'abandon sacrificiel à l'être adoré : pour n'en citer qu'une, Marie-Julie Jahenny, qui vivait à Blain, près de Nantes (1850-1941), est gratifiée pendant 68 ans de multiples apparitions de Jésus, de la Vierge et de différents saints, accompagnées d'une vie de souffrances désirées afin de participer à la Passion du Christ ; elles reçoit des stigmates, et, entre autres, un anneau sanglant de fiançailles s'inscrit sur son annulaire droit.
L'amour dévotionnel
Ô ma Maîtresse,
Votre tendresse
Nourrit sans cesse
Mon pauvre cœur
De sa grâce et de sa douceur.
Le père Grignion de Montfort
Les grands ascètes de l'Inde, suivant l'exemple du dieu Shiva, aspirent également à l'union suprême, à la dissolution dans le Grand Tout, le brahman, le Soi, source de joie infinie. Pour le tantrisme, c'est par l'union sexuelle que l'on peut atteindre l'union suprême. Mais l'amour du fidèle hindou peut aussi s'exprimer plus simplement, au travers de la piété populaire. Il existe une multitude de divinités en Inde, représentations imparfaites du Dieu suprême, dont les images omniprésentes sont l'objet de dévotions quotidiennes. Parmi ces figures révérées, Rama et la fidèle Sita sont particulièrement célébrés, tout autant que Krishna dont les amours ont été chantés par Jayadeva dans son Gita Govinda, un poème à la fois dévotionnel, lyrique et érotique. Dans le film de Nina Paley, Sita, par la voix d'Annette Hanshaw, chante : Je ne savais pas combien il était doux d'être une esclave pour Celui qui m'est tout. Mais cet amour n'impose pas la mort, l'ultime fusion dans l'être aimé ; il réconforte, il aide à vivre.
Au même titre que les gopis, les religieuses d'un convent catholique se déclarent toutes épouses de Jésus qu'elles espèrent et dont elles chantent les louanges ; et tout comme Radha, certaines d'entre elles - Thérèse de Lisieux par exemple – se distinguent par une relation plus intense, plus intime, sans pour autant écarter les autres : O Jésus, regardez-nous avec amour et donnez-nous votre doux baiser… Le christianisme ne se revendique-t-il, autant que l'islam, comme la « religion de l'amour » ?
Salaün vénérant la Vierge Marie (vitrail de la basilique du Folgoët) |
On se souvient aussi au Folgoët, dans le Finistère, de Salaün, « le fou du bois », qui, selon la légende, habitait le creux d'un arbre et ne savait dire que trois mots, qu'il ne cessait de répéter : Itron Gwerc'hez Vari (Dame Vierge Marie). Peu après sa mort, on découvrit sur sa tombe un lys sur lequel Ave Maria était inscrit en lettres d'or. En ouvrant sa tombe, on constata que la plante prenait racine dans sa bouche. Une basilique fut bâtie pour célébrer le miracle, et les pèlerins n'ont pas jusqu'à aujourd'hui cessé d'y affluer.
Le sublime amour aujourd'hui
Il est temps d'instaurer la religion de l'amour.
Louis Aragon, Le Paysan de Paris
La passion est toujours d'actualité, elle s'est immiscée dans notre quotidien. Vulgarisée par les romans et les films, elle perpétue cette ancienne hérésie spiritualiste qui avait fleuri au Moyen Age. Et elle veut nous faire croire que la vie ne vaut la peine d'être vécue que si l'on a succombé au « grand amour », de même que certains pensent qu'elle ne l'est que si l'on a une Rolex !
L'amour romantique, ou romanesque
Je vous aime, Marie, c'est indéniable ; mais l'amour que je ressens
pour vous, c'est celui du chrétien pour son Dieu…
J'étais mort, vous m'avez fait renaître […]
J'ai puisé dans votre regard d'ange des joies ignorées ;
vos yeux m'ont initié au bonheur de l'âme, dans tout ce qu'il y a de plus parfait, […] vous êtes la partie de moi-même
qu'une essence spirituelle a formée.
Charles Baudelaire, lettre à Marie Daubrun
Il est remarquable de voir à quel point un mythe a pu irriguer le fil de l'histoire et, encore aujourd'hui, influencer notre façon de penser et vivre le monde. Même à l'heure où l'on négocie l'amour sur Internet ou dans les clubs de rencontre, et où l'on célèbre le désir hâtivement satisfait, l'amour-fou, l'amour-passion continue, comme au temps de Tristan, de rechercher les obstacles ; et, si peu se risquent à boire le philtre, presque tous en rêvent, ou en rêvassent, comme l'écrit Rougemont.
Franck Dicksee, Roméo et Juliette |
Sans le mari, il ne resterait aux deux amants qu'à se marier, constate Rougemont. Or on ne conçoit pas que Tristan puisse jamais épouser Iseut. Elle est le type de femme qu'on n'épouse point, car alors on cesserait de l'aimer, puisqu'elle cesserait d'être ce qu'elle est. Imaginez cela : Madame Tristan ! Ou bien Madame Roméo : une bourgeoise, bobonne ! Une nostalgie que l'on chérissait est-elle encore désirable une fois rejointe ? Là réside la clef, et l'attrait de bien des films qui racontent des histoires de cœur qui pourraient sembler bien banales et triviales.
Rock Hudson et Jane Wyman, dans Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk |
L'amour heureux n'existerait donc pas ? La presse parle régulièrement d'amours sublimes au quotidien, de couples restant amoureux après 70 ans de vie commune... Si l'amour reste attaché à l'échec, à l'impasse, c'est peut-être simplement qu'une fois encore le bonheur n'a pas d'histoire ; il n'est pas, sur un plan romanesque, rentable de raconter l'histoire d'amants comblés.
On peut se demander aussi dans quelle mesure l'amour sublime ne trahit pas une frustration, l'exaltation d'un amour désiré mais non payé de retour ; ou bien l'ambiguïté de la situation de l'homme face à la vie sexuelle : mélange de désir violent et d'irrépressible crainte. Le coup de foudre est aussi fatal que le philtre de Tristan ; comme lui il sert d'excuse à ce que l'on voudrait réprouver. Le mythe du sublime amour matérialise à la fois le désir de la transgression et la culpabilité qu'elle engendre. Et finalement le goût du romanesque, dans la lignée des romantiques, perpétue le amabam amare (« J'aimais aimer ») de saint Augustin : ce n'est peut-être pas tant l'autre que l'on aime, mais l'idée de l'amour, et à travers elle, une image complaisante de soi-même. Alors que l'être aimé, idéalisé et perçu comme une déesse (ou un dieu), est ravalé au rang de pure idée, autrement dit d'objet.
L'amour idôlatre
Michael tu seras toujours le meilleurs de tout les temps
Et ta musique me fera toujours rêver de toi
Tu me manque énormément
J'espère que tu es bien ou tu es et que tu as finallement la paix
Je t aime.
Une fan de Michael Jackson (sur Internet)
La commémoration de Lady Di au pont de l’Alma, |
Il en va de même de l'amour de la patrie, pour laquelle on donne sa vie, ou de l'enthousiasme que suscitent certains leaders qui emportent l'adhésion des foules, celles-ci fusionnant littéralement avec les idéaux qu'on leur propose. Cette façon de se perdre dans la masse cependant, reposant sur la dépersonnalisation, semble bien éloignée des sublimes élans du mystique ou du chevalier courtois.
L'art peut quant à lui susciter des passions créatrices. Tel est le cas de ces égéries, modèles pour les peintres, interprètes pour les cinéastes, sources de leur inspiration, dans lesquelles, comme dans un miroir, ils peuvent se contempler : Marlène Dietrich pour Sternberg, Giuletta Masina pour Fellini, Jean Marais pour Cocteau ou Jean-Pierre Léaud pour Truffaut…
biblio-filmographie
Livres
. Sarat Chandra BANNERJEE, Devdas , Les Belles Lettres, 2006
.
VÂLMÎKI, Le Râmâyana , Gallimard, 1999
.
Denis de ROUGEMONT, L'Amour et l'Occident, 1939 – 1972
.
Benjamin PERET, Anthologie de l'Amour sublime, Albin Michel, 1956
.
Jean MARKALE, L'Amour courtois ou le couple infernal, Imago, 1987
.
Philippe PARRAIN, Regards sur le cinéma indien, Cerf, 1969
.
André BRETON, Nadja , 1928
.
Djalâl ud-Dîn RÛMÎ, Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique, XIIIe siècle
.
Saint JEAN DE LA CROIX, La vive Flamme d'amour, Seuil, 1584
.
Élisabeth BROWNING, Sonnets portugais, Gallimard, 1994
.
Christian BOBIN, Le Très-Bas , Gallimard, 1992
.
Christian BOBIN, La plus que vive , Gallimard, 1996
.
Jacqueline KELEN, Marie-Madeleine, un amour infini , Albin Michel 1982 - Marie Madeleine ou la beauté de Dieu , La Renaissance du Livre, 2003
.
Jacqueline KELEN, Les amitiés célestes , Albin Michel, 2010
.
Jacqueline KELEN, L'Éternel masculin, traité de chevalerie à l'usage des hommes d'aujourd'hui, Robert Laffont, 1994
. Jacqueline KELEN, Propositions d'amour, Anne Carrière, 1997
. Bettina von ARNIM, Correspondance avec Gœthe, 1843.
.
Marguerite PORETE, Le Miroir des Âmes simples et anéanties, XIIIè siècle
Films
Il n'est pas question d'inventorier ici tous les films parlant d'un grand amour. Citons-en quelques-uns :
.
Alain CAVALIER, Thérèse, 1986
.
Roberto ROSSELLINI, Les 11 Fioretti de François d'Assise, 1950
.
Jean DELANNOY, L'éternel Retour, 1943
. Michel SPINOSA, Anna M., 2007
.
Brad SILBERLING, La Cité des anges, 1997
.
Wim WENDERS, Les Ailes du désir, 1987
.
François TRUFFAUT, L'Histoire d'Adèle H., 1975
.
William WYLER, Les Hauts de Hurlevent , 1939
.
Luis BUÑUEL, Les Hauts de Hurlevent, 1939
.
Georges CUKOR, Le Roman de Marguerite Gautier , 1937
.
Franco ZEFFIRELLI, La Traviata , 1982
.
Luchino VISCONTI, Senso , 1954
.
Josef von STERNBERG, L'Ange bleu , 1930
.
Max OPHULS, Madame de…, 1953
.
Jacques DEMY, Lola, 1961
.
Nagisa OSHIMA, L'Empire des sens, 1976
.
WONG KAR-WAI, In the mood for love, 2000
.
Alfred HITCHCOCK, Sueurs froides, 1958
.
Lars VON TIER, Breaking the waves, 1996
.
Jane CAMPION, La Leçon de piano, 1993
. Max OPHULS, Madame de…, 1953
. Michel GONDRY, Eternal Sunshine of the spotless mind, 2004