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flics, mythes et crimes d'Amérique et d'ailleurs : Deux mythes, le flic et la femme fatale
du mardi 8 avril au vendredi 17 avril 2014
mardi 8 avril, 18 à 20h : Ciné-Bistrot
Mise en bouche / apéro
Café Latin, 23, rue Bodinier, Angers
Prix des consommations
mardi 8 avril,
20h15 : Film
Sueurs froides / Vertigo (France, 129 min.) d'Alfred
Hitchcock, avec présentation et débat en présence de Gilles Menegaldo.
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,60 €,
réduit 6 €, carnets 5,15 € ou 4,55 €
jeudi 10 avril, 20h :
Conférence
Une police angélique ? par Philippe
Parrain, président de Cinélégende
Cette intervention sera illustrée par des extraits de
films.
Au cours de la soirée, nous nous poserons les
questions suivantes : Le flic peut-il être considéré comme un
personnage mythologique ? Flic d'Amérique ou d'ailleurs,
intervenant dans la Cité des Anges (Los Angeles) ou plus proche
de notre quotidien, lui arrive-t-il d'incarner lui-même une
figure angélique ? Par certains de ses aspects, il est
protecteur, ange gardien de la paix. Mais il est aussi
enquêteur, il fouille le secret des âmes et se fait ange
justicier. Il lui arrive encore de sortir du droit chemin, de se
rebeller, de défier l'ordre établi et de rejoindre la cohorte
des anges maudits, voire des anges exterminateurs…
Nous verrons comment le cinéma a traité et abordé ces différents
aspects.
IPSA, Amphithéâtre Bonadio Université Catholique de l'Ouest
(entrée 50 rue Michelet) : voir
le plan d'accès
Gratuit
jeudi 17 avril, 18h30 : Conférence
Le flic, le privé et la femme fatale par Gilles Menegaldo, professeur émérite de
littérature américaine et de cinéma aux départements d'Etudes
anglophones et Arts du spectacle de l'UFR Lettres et Langues de
l'Université de Poitiers..
Le flic à l'écran est confronté à deux
figures mythiques du cinéma hollywoodien, toutes deux issues de
la littérature : le détective privé et la femme fatale. Les
films instaurent une tension entre ordre et désordre, devoir et
désir, norme et transgression. Il s'agira d'analyser les
relations complexes entre ces trois figures, les modalités
thématiques narratives et formelles (entre réalisme et
stylisation) de leur représentation et leur évolution dans
l'histoire du cinéma à partir de divers exemples classiques et
contemporains.
Institut Municipal, place Saint-Éloi, Angers
Gratuit
télécharger le livret au format PDF
Commentaires
De préférence à « sueurs froides », on devrait retenir le titre anglais : « vertigo » : l’histoire d’un homme qui perd pied, tombe éperdument amoureux, jusqu’au vertige, et dont la raison s’enfonce dans un tourbillon obsessionnel. Un film de suspense au sens où l’entend Jean Douchet : une épée de Damoclès porteuse d’une catastrophe imminente, partage entre la crainte de la chute et l’espoir du salut, entre la mort et la vie.
Malgré les apparences, il ne s’agit pas là d’un film policier : le héros n’est plus un flic et n’est pas vraiment un détective à la recherche d’un coupable ; c’est un homme ensorcelé qui se trouve entraîné tout au fond d’un vortex. L’héroïne n’est pas davantage une femme fatale : elle est plus victime que prédatrice. Et pourtant nous assistons bien là à une enquête placée sous la fascinante emprise de la femme…
thèmes mytho-légendaires du film
(à lire de préférence après avoir vu le film)Sueurs froides est un film particulièrement riche qui se prête à bien des lectures et interprétations. Jean Douchet, entre autres, en propose, dans son Hitchcock, une analyse qui met en évidence les profondeurs insoupçonnées de l’œuvre du maître. Mais c’est de la Femme qu’il est ici question, et de l’irrésistible fascination qu’elle est capable d’exercer…
La femme venue d’ailleurs
Tu ne pourrais pas m’aimer ? Moi, pour ce que je suis ?
Madeleine à Scottie
Scottie, au début du film, est traumatisé. Destitué de sa qualité de policier, il se retrouve en vacance de lui-même. Projeté dans le vide par personne interposée, il est écartelé, brisé, de la même façon qu’il le sera dans son cauchemar à la suite de la mort de Madeleine. Innocenté, il est incapable d’assumer sa culpabilité. Il éprouve un grand besoin de réconfort. Il cherche logiquement à se réfugier dans un univers féminin, meublé de soutiens-gorges, mais n’arrive pas à y trouver son compte : « Cesse de me materner », rétorque-t-il à Midge, la femme du quotidien, des possibles.
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Apparition de Madeleine
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C’est alors que paraît Madeleine. Il s’en trouve tout aussi émerveillé que le chevalier du roman de Jean d’Arras, qui, atterré d’avoir involontairement tué son oncle, rencontre soudain Mélusine à la fontaine (sauf qu’ici c’est lui qui est au bar) : « Raimondin la regarda et aperçut la grande beauté qui était en elle et s’en ébahit fort, car il lui sembla que si belle Dame n’avait vue. »
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Madeleine face au tableau de
Carlotta
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Ce moment magique est brillamment mis en scène par Hitchcock. Il opère un curieux changement de perspective, un saut dans le temps (entre le dîner et le geste de se lever) et dans l’espace : un faux effet de miroir à la Cocteau qui permet à la jeune femme de sortir « en vrai » du cadre, de glisser de son monde au nôtre en accédant à la réalité. Elle s’approche, s’affirme quelques instants en gros plan, puis s’esquive et semble vouloir se dissoudre à nouveau dans un miroir. Lorsqu’elle s’abîme dans la contemplation du tableau de Carlotta, elle se retrouve comme devant un miroir qui lui renvoie une image sublimée d’elle-même. Et si, plus tard encore, Judy entre très prosaïquement dans la vie de Scottie, c’est en le découvrant dans un miroir qu’elle accepte de renouer avec sa nature féérique.
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Scottie se retrouve face à Madeleine
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Mais c’est encore dans un miroir que Scottie - tout comme Raimondin découvrant la vraie nature de Mélusine - comprend que celle qui porte le collier de Carlotta n’est qu’une manipulatrice. Il quitte brutalement le monde des rêves. On ressort du miroir enchanté.
La tentation en trompe l’œil
Les apparences trompeuses, le dédoublement de la personnalité (ange ou démon ?), et le jeu du mensonge sont personnalisés par les portraits et les miroirs dont le film noir fait grand usage et qui signifient un monde fragmenté, oscillant sans cesse entre l’apparence et la réalité. Tout se passe comme si ces femmes superbes étaient victimes de leur beauté et ne pouvaient s’en servir qu’à des fins destructrices. Elles semblent parfois conduites par des forces qui les dépassent.
Michel Ciment, Le Crime à l’écran
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Le collier au cou de Judy
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Le début de la métamorphose de Judy
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Le Tentateur ici est bien entendu incarné par Elster, un ami qui semble vouloir du bien à Scottie, et surtout à sa femme. Il fait appel à une stratégie des plus subtiles, à l’exemple de celles de Bruno dans L’Inconnu du Nord-Express ou de Wendice dans Le Crime était presque parfait. Hitchcock annonce la couleur en ouvrant la séquence par sa rituelle apparition ; il transporte un instrument de musique (une corne de chasse ?) : Scottie va se trouver entraîné dans une danse infernale, à la façon de ces braves paysans qu’autrefois dans les légendes, le diable ensorcelait avec son violon.
Contrairement au roman dont s’est inspiré le film, c’est dans son bureau directorial, sur son propre terrain, qu’Elster attire Scottie. Ce dernier se trouve alors dans un état de totale disponibilité ; il est rapidement envoûté : d’abord intrigué par la réussite sociale de son ami, il se montre réticent et pense clore la conversation. Mais, aiguillonné par la curiosité, il ne peut s’empêcher de s’asseoir : « Pourquoi m’as-tu fait venir ? ».
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La manœuvre d'Elster pour séduire
Scottie
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Scottie cherchant à déchiffrer
Madeleine
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La spirale
Un vertige de l’âme, cent fois plus horrible que le vertige du corps.
Boileau-Narcejac, D’entre les morts
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Le couple devant le séquoia
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Scottie s’empêtre dans une inextricable interrogation sur le passé et le présent, le réel et l’imaginaire, les faux semblants et les multiples visages de la femme. Le temps semble s’enrouler sur lui-même et reproduire les situations : le parcours du dédale des rues en voiture, le retour vers les lieux du passé, la progressive réapparition de Madeleine, la route vers la mission, la montée de la tour… Comme le fait remarquer J.-P. Esquenazi, chaque fois que Scottie s’approche de Madeleine et de son mystère (chez le fleuriste, au cimetière, au musée…), il traverse d’abord dans la pénombre une sorte de sas qui le fait pénétrer dans l’au-delà d’un temps révolu. Ce sera encore le cas lorsqu’il la suit dans l’église avant l’escalade de l’escalier en (faux) colimaçon.
Au cœur des circonvolutions de l’enquête, les seuls moments de vérité, qui abolissent le temps et l’espace, semblent être les baisers : au bord de la mer, avec le jaillissement symbolique des vagues, ou lorsque Judy redevient Madeleine, avec le mouvement enveloppant de la caméra qui, en arrière plan, réactive le passé. Ce qui n’est pas le cas bien sûr du baiser à la mission, alors que le regard de Madeleine, tendu vers la tour de l’église, brise le lien.
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Les spirales du générique
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La chute
Tout à coup la nuit est venue, et j’étais seule les ténèbres. J’étais attirée par l’obscurité.
Madeleine à ScottieJe t’aimais tellement, Madeleine […] C’est trop tard, rien ne peut la ramener.
Scottie à Judy
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Le sauvetage de Madeleine
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Le film au début abandonne Scottie lorsqu'il est accroché au-dessus du gouffre. Il n’y a aucune probabilité scénaristique pour qu’il soit sauvé alors qu’il se trouve seul, suspendu à une gouttière qui plie sous son poids. Faut-il considérer qu’il est d’ores et déjà passé de l’autre côté ? On reste sur l’image de son visage atterré. Et le film se clôt sur le même personnage, tout aussi atterré, à nouveau au-dessus du vide. Ne serait-ce pas un cauchemar, illuminé par la merveilleuse invocation d’une femme, qui vient de se dérouler devant nos yeux ? La durée de sa chute ? Le temps par exemple qu’il faut à une enveloppe pour tomber dans une boîte aux lettres, qui est celui de la visite aux Enfers dans l’Orphée de Cocteau ?
Hitchcock a toujours été obsédé par cette image de la chute imminente du personnage (La cinquième Colonne, La Mort aux trousses, Fenêtre sur cour). Une image qui pourrait représenter la dimension onirique qui est propre à ses films. N’est-ce pas dans cette situation « en suspens » (dans le temps comme dans l’espace) que pourrait se résumer la notion de suspense ?
Scottie, du début à
la fin du film
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femmes fatales
C'est un sexe complètement différent.
Jerry/Daphne dans Certains l'aiment chaud
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Louise Brooks dans Loulou
de G.W. Pabst, 1929
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Fascination : le talon d’Achille du flic
La femme dans le film noir est associée à la ville. Si l’ambition sociale de l’homme s’épanouit dans la cité, son désir sexuel rencontre la séductrice, fantasme misogyne où le mâle projette ses peurs et ses instincts agressifs.
Michel Ciment, Le Crime à l’écran
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Richard Burton et Elisabeth Taylor dans Cléopâtre
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Greta Garbo et John Gilbert dans La
Chair et le Diable de Clarence Brown, 1926
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Relief babylonien identifié à
Lilith
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Protectrice ou prédatrice, perverse ou angélique, la femme a toujours exercé son emprise sur les hommes : c’est d’elle que l’on rêve, même si ce rêve devient cauchemar.
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Jean Seberg dans Lilith
de Robert Rossen, 1964
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Par-delà les règles du film noir, la grande séductrice au cinéma emprunte bien des visages et engendre une foule de fantasmes qui ravivent des mythes intemporels.
La fée et ses sortilèges
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Mélusine, église St-Sulpice à Fougères |
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Ava Gardner dans Les Tueurs
de Robert Siodmak, 1946
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Plus clémentes mais n’exerçant pas une moindre emprise, gardant leur part de mystère, quelques femmes merveilleuses, « de l’autre monde », hantent le cinéma, ensorcelant les héros : celles dont rêve Charlot (avant que Monsieur Verdoux (1947) ne leur réserve un autre sort !), Cyd Charrise, l’enchanteresse du village endormi de Brigadoon (Vincente Minnelli, 1954), Micheline Presle, la « femme en blanc » de La Nuit fantastique (Marcel L’Herbier, 1941), ou la rencontre providentielle des Portes de la nuit (Marcel Carné, 1946) : « un rendez-vous avec la plus belle fille du monde »…
Le chant de la sirène
Les sirènes charment tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche pour entendre leurs chants !
Homère, Odyssée
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Sirène, chapelle St-Michel-l’Aiguilhe au Puy-en-Velay |
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Michèle Morgan dans Remorques,
de Jean Grémillon, 1939
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Ava Gardner aussi, dans Pandora (Albert Lewin, 1951), attire tous les regards et toutes les ardeurs, et nul ne la fréquente sans danger. Jusqu’à ce qu’elle plonge dans l’océan et rejoigne à la nage le bateau du Hollandais volant. Car la sirène, avec sa queue de poisson, et la Lorelei qui menace les bateliers sur les rives du Rhin en se peignant sur un rocher, sont des femmes de l’eau. C’est ce que nous conte le film de Jean Grémillon Remorques (1939) : Michèle Morgan y incarne la femme d’un capitaine en perdition, disons une « morgane » venue de la mer. Jean Gabin en devient follement amoureux. Mais au terme de son entreprise de séduction et de destruction, d’amour et de mort, elle se retire comme elle est apparue, dans la tempête, abandonnant l’homme seul face à la mer.
Quand la vamp se fait vampire
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Baudelaire, A une passante
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Marlene Dietrich |
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Marilyn
Monroe dans Niagara, de Henry Hathaway,
1953
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Profitant de l’ascendant qu’elle exerce sur les hommes, la séductrice est tentée de jouir de son pouvoir et d’asservir sans scrupule ceux qui se prennent à ses filets. Ses baisers peuvent alors devenir mortels. Elle prend les traits de Salomé ou de Dalila qui, pour reprendre les mots de Michel Ciment, « dansent avec leurs sept voiles et manient le couteau pour mieux castrer le mâle en lui coupant la tête ou les cheveux ».
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Sharon Stone dans Basic
Instinct de Paul Verhoeren, 1992
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La femme de la ville dans L’Aurore (F.W. Murnau, 27) arrache le pauvre paysan à sa quiétude et n’hésite pas à l’inciter à noyer sa femme. Marilyn Monroe, d’une beauté aussi dévastatrice que les chutes du Niagara (Henry Hathaway, 1953), met toute sa fougue à éliminer son mari, alors quelques belles meurtrières, comme Debra Winger dans La Veuve noire (Bob Rafelson, 1987) ou Isabelle Adjani dans Mortelle Randonnée (Claude Miller, 1983), sèment derrière elles les cadavres d’amants fortunés.
Encore plus prédatrice que Simone Simon lacérant dans La Féline (Jacques Tourneur, 1942) celui qui l’embrasse, apparaît Sharon Stone dans Basic instinct (Paul Verhoeven ,1992) : les dents de la panthère font place au pic à glace, tout aussi meurtrier. Pour ces mantes religieuses faire l’amour devient synonyme de tuer, ce que sait très bien faire Famke Janssen dans Goldeneye (Martin Campbell, 1995) lorsqu’elle enserre voluptueusement, jusqu’à les étouffer, ses amants/adversaires entre ses jolies cuisses bien musclées…
biblio-filmographie
Livres
. François TRUFFAUT, Le Cinéma selon Hitchcock,
Robert Laffont, 1966
. Jean DOUCHET, Hitchcock, Éd. de l’Herne, 1967
. Jean-Pierre ESQUENAZI, Hitchcock et l’aventure de Vertigo,
CNRS Éditions, 2001
. Philippe PARRAIN, La diabolique Mécanique d’Alfred
Hitchcock, Cinélégende, 2009
. Delphine LETORT, Du film noir au néo-noir – Mythes et
stéréotypes de l’Amérique (1941-2008), L’Harmattan, 2010
. Jacques SICLIER, Le Mythe de la femme dans le cinéma
américain, Éd. du Cerf, 1956
. Molly HASKELL, La Femme à l’écran, Seghers, 1977
. Michel CIMENT, Le Crime à l’écran – Une histoire de
l’Amérique, Gallimard, 2002
. Jacques BRIL, La Mère obscure, L’Esprit du temps,
1998
. BOILEAU NARCEJAC, D'entre les morts, Denoël, 1954 -
réédité sous le titre Sueurs froides, Denoël, 1958
autres Films
. Brian DE PALMA, Femme fatale,
2002
. Otto PREMINGER, Un si doux visage, 1952
. Raoul WALSH, Une femme dangereuse, 1940
. Stuart HEISLER, La Clé de verre, 1942
. Robert ZEMECKIS, Qui veut la peau de Roger Rabbit,
1988
. Bob RAFELSON, Le Facteur sonne toujours deux fois,
1981
. John HUSTON, Le Faucon maltais, 1941
. William WYLER, La Lettre, 1940
. Rouben MAMOULIAN, Arènes sanglantes, 1942
. Otto PREMINGER, Crime passionnel, 1945
. Joel COEN, Intolérable Cruauté, 2003
. John DAHL, Last Seduction, 1995
. François TRUFFAUT, La Mariée était en noir, 1968
. Jean GRÉMILLON, Gueule d’amour, 1937
. Francesco ROSI, Carmen, 1984