flics, mythes et crimes d'Amérique et d'ailleurs : Mythes et figures du criminel
mardi 18 février, 20h15 : Film
La Soif du mal (USA, 108 min.) d'Orson Welles, avec présentation et débat en présence de Gilles Menegaldo
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,60 €, réduit 6 €, carnets 5,15 € ou 4,55 €
Le Café Latin, 23 rue Bodinier
Prix des consommations
mercredi 19 février : Conférence
Chronique criminelle et figures du mal, par Sébastien Soulier, docteur en histoire contemporaine, membre associé du Centre d’Histoire Espaces et Cultures, Université Blaise Pascal Clermont II
La Belle Époque, âge d'or du fait divers et de la chronique criminelle : l'on voit apparaître toutes sortes de figures malveillantes, monstrueuses et dangereuses prêtes à faire frissonner les lecteurs en attente de sensations fortes. Les « modèles » se présentent par dizaines à la barre des accusés des cours d'assises. Les journalistes dressent à la chaîne des portraits d'assassins, de voleurs, d'escrocs et autres individus peu recommandables qui viendront alimenter les rubriques judiciaires locales…
Amphithéâtre Volney Fac de droit (St-Serge) 13 allée Fr. Mitterrand, Angers
Gratuit
jeudi 20 février, 18h30 : Conférence
Le mythe du criminel à l’écran et son évolution, par Gilles Menegaldo, professeur émérite de littérature américaine et de cinéma aux départements d'Etudes anglophones et Arts du spectacle de l'UFR Lettres et Langues de l'Université de Poitiers.
Tributaire d’un riche héritage littéraire (le feuilleton, le whodunit, le roman noir) et historique, le criminel à l’écran est multiforme. Du Dr Mabuse aux avatars contemporains, il suscite un sentiment ambivalent de fascination et d’effroi. Le gangster flamboyant des années trente, le tueur psychopathe du film noir ont laissé la place à des figures plus inquiétantes comme celle du serial killer, d’autant plus terrifiante que son apparence est banale. Le retour actuel du mythe du gangster se teinte de nostalgie et permet d’associer différents genres comme le mélodrame et la comédie.
Institut Municipal, place Saint-Éloi, Angers
Gratuit
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Commentaires
Ce sont le plus souvent les gangsters, et non pas les flics, que les films dits « policiers », ou « polars », mettent en vedette : préparation du hold-up, lutte pour le pouvoir, guerre des gangs, ascension et déchéance… La débauche, la corruption, l’agressivité, l’exercice de la force exercent une indéniable fascination : l’imaginaire privilégie d’emblée ceux qui vivent en marge de la normalité et de la légalité.
Et si certains policiers passent au premier plan, ils ne sont pas toujours intègres ; ils n'hésitent pas à sortir du droit chemin, et ils sont souvent davantage portés à céder à la corruption qu'à préserver la justice.
La Soif du mal
<Tanya (Marlene Dietrich) |
Plus grand, plus gros que nature, il aimait à se surdimensionner, physiquement, socialement, moralement, et de préférence dans l'ignominie. Il s'est parfaitement identifié au personnage de Falstaff dans celui de ses films qu'il préférait. Il se projeta aussi en Don Quichotte, ce grand rêveur : un film qui le poursuivit de longues années et que, comme beaucoup de ses projets, il ne parvint pas à mener à sa fin.
La Soif du mal est son dernier film hollywoodien, avant qu'il ne poursuive sa carrière en Europe. Œuvre de commande, abondamment « revue et corrigée » par le producteur, ce film reste l'un des meilleurs du réalisateur : la technique est éblouissante, l'ambiance pesante, l'interprétation brillante, à commencer par Welles lui-même qui se complaît et en rajoute dans son personnage de policier véreux.
thèmes mytho-légendaires du film
Retour au chaos
Il n'y a pas si longtemps, c'était une petite ville paisible, ici.
Grandi à Susan
Vargas (Charlton Heston) et Susan (Janet Leigh) passant la frontière |
Le mouvement continu et ordonné du début, la bonne humeur, les mots d'amour volent brutalement en éclats. C'est un retour au chaos primordial : la nuit, de douce, se fait prégnante, agressive, déchirée par les lueurs d'incendie les cris, les hurlements de sirènes. Les mouvements deviennent heurtés, les propos hachés, le montage court.
L'explosion de la voiture |
Quinlan (Orson Welles) |
La bête immonde
- J'aimerais le rencontrer.
- C'est ce que vous croyez !
Vargas dans l'attente de rencontrer QuinlanTu es une épave, chéri.
Tanya à Quinlan
L'apparition de Quinlan |
L'opposition de Quinlan et deVargas (Charlton Heston |
Voici l'hippopotame, à qui j'ai donné la vie comme à toi !
Il mange de l'herbe comme le bœuf. Le voici !
Sa force est dans ses reins, et sa vigueur dans les muscles de son ventre.
Il plie sa queue aussi ferme qu'un cèdre.
Les nerfs de ses cuisses sont entrelacés.
Ses os sont des tubes d'airain, ses membres sont comme des barres de fer.
[…] Il se couche sous les lotus, au milieu des roseaux et des marécages.
[…] Est-ce à force ouverte qu'on pourra le saisir ?
[…] Prendras-tu le crocodile à l'hameçon ?
Saisiras-tu sa langue avec une corde ?
[…] Te pressera-t-il de supplication ?
Te parlera-t-il d'une voix douce ?
[…] A son seul aspect n'est-on pas terrassé ?
Livre de Job XL, 10-28
Alors que Vargas découvre la vraie nature de Quinlan tout en se trouvant réduit à une fonction d'« observateur », sa femme Susan se retrouve isolée dans un monde où elle est étrangère. Les USA cessent d'être pour elle un refuge lui garantissant le calme et la sécurité. C'est alors qu'elle devient victime d'un autre monstre avec lequel Quinlan va faire alliance : le clan Grandi dont le pouvoir se répand des deux côtés de la frontière, une hydre dont les multiples têtes repoussent lorsque l'une d'entre elles est coupée.
La lutte contre le dragon
C'est un sale boulot que de faire respecter la loi. Mais c'est notre devoir.
Vargas à Quinlan
Quinlan et Pete Menzies (Joseph Calleia) |
Susan (Janet Leigh) épiée dans sa chambre |
Vargas apparaît comme le justicier, le chevalier blanc venu d'ailleurs (« Pourquoi vous a-t-on laissé entrer ? Vous êtes étranger », lui objecte un policier). Il est intègre. Face à lui Grandi se joint à Quinlan : « Nous poursuivons le même objectif, Capitaine ». La criminalité sociale vient nourrir le mal qui ne cesse de ronger cet homme fatigué, blessé, qui nourrit une vieille rancune contre « ce métis » meurtrier de sa femme, et qui ne peut que sombrer dans l'alcool et l'abjection jusqu'à ce que Vargas lui donne le coup de grâce.
criminels
Un crime n'est qu'une forme dégénérée de l'ambition.
Emmerich dans Quand la ville dort de John Huston
Caïn tuant Abel, par Rubens |
Certains, comme Cesare Lombroso, pensent que l'on naît criminel, que l'on est foncièrement criminel. Naît-on aussi flic ? La réalité est nécessairement plus subtile et les personnages peuvent, selon les circonstances, aisément glisser d'un côté sur l'autre, voire se trouver des deux côtés à la fois. Le cinéma en propose maints exemples. Mais peut-être (ou sans doute) l'opposition n'est-elle pas entre le délinquant et le représentant de la loi, mais entre eux deux et le simple citoyen : celui-là même qu'Hitchcock arrache à la quotidienneté de l'honnête société pour le projeter dans le monde criminel, au sein d'un jeu périlleux où des forces hostiles s'affrontent.
Méchants et Cie
Plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film.
Alfred Hitchcock, in François Truffaut, Le Cinéma selon Hitchcock
Le film noir est dans son essence en noir et blanc : une image bien contrastée, avec ses zones d'ombre et ses éclats de lumière ; la nuit s'y oppose au jour, les bons aux méchants, le gendarme au voleur, les policiers aux truands, la mort à la vie… Nous sommes dans une logique manichéiste qui laisse en marge le citoyen moyen que l'on pourrait désigner, lui, comme gris.
Robert Mitchum et Jane Greer dans La Griffe du passé de Jacques Tourneur |
Jack Nicholson dans Shining de Stanley Kubrick |
Mais Le tueur occasionnel, voire le serial killer, s'effacent devant la loi du milieu : le tueur professionnel, le gangster, affilié à un gang ethnique ou de quartier. Un défi jeté à la face de la société, en même temps qu'une façon de s'y imposer si l'on appartient à une minorité. Avec l'explosion du crime organisé aux USA, le crime prend une dimension nationale impliquant vite les pouvoirs en place, voire internationale (Le Parrain).
Duel à mort entre Énée et Turnus, Bibliothèque municipale de Dijon |
Il est aisé de reconnaître là la résurgence de personnages mythologiques : Thésée condamnant à la mort Hippolyte, Médée égorgeant ses enfants, Agamemnon assassiné par Clytemnestre, ou celle-ci tuée par Oreste et Électre… La liste est longue, sans parler des règlements de compte entre dieux et démons et des tueries perpétuées par les êtres nuisibles qui menacent l'ordre du monde et auxquels s'opposent les héros.
Lee Marvin dans Le Point de non retour de John Boorman |
Les frères ennemis
Nicolas Cage et John Travolta dans Volte face de John Woo |
Mascarade de Valentin et Orson par Bruegel l'Ancien |
Nourri par l'Ourse, il devient tout velu comme une bête sauvage. Il cheminait par les bois, devint grand en peu de temps et commença à frapper les autres bêtes de la forêt à tel point que toutes le redoutaient fort et fuyaient devant lui. Au bout de quinze ans, il devint à ce point grand et puissant que nul n'osait passer par la forêt. Il abattait bêtes et hommes, les mettait à mort et en mangeait la chair toute crue. Il fut appelé Orson, à cause de l'ourse qui l'allaita, et il avait le poil comme un ours. Sa réputation devint telle que les gens du pays le chassèrent tant qu'ils purent pour le prendre, mais rien ne put l'atteindre, car il ne redoutait ni filets ni glaives, il rompait tout et les mettait en pièces...
L'Histoire de Valentin et Orson très preux, très nobles, et très vaillants (1489)
Avant de se reconnaître comme frères et de partir côte à côte sauver leur mère, Valentin et Orson se livrent à un violent corps à corps. Cet ourson qui grandit en force et en agressivité nous fait forcément penser à l'autre Orson (Welles), lequel, à supposer qu'il ait eu un frère, aurait effectivement tenu le rôle du sauvage mal léché. Sans oublier la peau d'ours dont s'est revêtu Jean Renoir – son réalisateur préféré – pour mener la danse dans La Règle du jeu.
Les anges maudits
L'homme qui a inspiré Le Prince de New York m'a dit : « 5 % des flics sont complètement corrompus et absolument corruptibles. 5 % n'ont jamais été corrompus et sont parfaitement incorruptibles. Et les autres 90 % naviguent entre les deux pôles selon l'atmosphère du département où ils travaillent. » Vous imaginez le nombre d'histoires qu'il y a à raconter à partir de ce constat ? Celui qui m'a dit ça était une personne extraordinaire, d'un courage exemplaire, le plus grand flic de New York. Et il était totalement corrompu.
Sidney Lumet, Les Cahiers du cinéma, n° 94
Harvey Keitel dans Bad Lieutenant d'Abel Ferrara |
La frontière entre bien et mal est ténue et les films aiment à suggérer une certaine ambiguïté : James Gagney ou Edward G. Robinson par exemple endossaient successivement des rôles de gangster et de flic ; les truands revêtent des uniformes de policiers (Scarface), et ceux-ci se déguisent en truands pour infiltrer le milieu (La Brigade du suicide).
Howard Duff et Ted de Corsia dans La Cité sans voiles de Jules Dassin |
De fait, ce que l'on désigne comme « films policiers » (les « polars ») sont le plus souvent des « films criminels ». Comme le note Michel Ciment, même « s'ils glorifient les unités spéciales de la police, [ils] ne se distinguent des films de gangsters ni par leur atmosphère, ni par les lieux de l'action, ni par les armes utilisées. » Le plan séquence qui ouvre Snake Eyes brasse allègrement bons et méchants, policiers et assassins, arrangements et combines, individus et foule…, tout comme le fait La Soif du mal.
Le Criminel de et avec Orson Welles |
Aux côtés des anges rebelles, l'ange de la mort également plane sur le film noir. C'est ce que semble suggérer le recours aux flashes-back et à la voix off qui condamnent d'emblée le narrateur, tel ce cadavre de Boulevard du crépuscule qui raconte son histoire. Le cinéma d'ailleurs n'est-il pas en soi porteur de mort ? Il nous fait voir ce qui a cessé d'exister : Une réflexion sur la mort, une histoire de revenants en quelque sorte qui reprennent vie à chaque projection devant nos yeux.
Sacralité du crime
C'est la violence qui constitue le cœur véritable et l'âme secrète du sacré.
René Girard, La Violence et le sacréQu'un sang impur abreuve nos sillons…
Faye Dunaway et Warren Beatty dans Bonny and Clyde d'Arthur Penn |
Au-delà de la pure fascination, la vision du crime, du sang versé en particulier, suscite aussi une suprême horreur. Walter Burkert (in René Girard, Sanglantes origines) note qu'« il se pourrait que soit présent, ou que se développe chez certains individus, un “instinct de tuer“ particulier, expérience unique et exaltante, avec une sensation de puissance, de bond en avant […] un mélange de triomphe et d'angoisse. » Le spectacle de la mort, reçue ou donnée, nous projette d'emblée sur le plan du sacré. La célébration du sacrifice où l'on assiste, effectivement ou symboliquement, à un meurtre rituel - celui du bouc émissaire - ne peut-elle pas être considérée comme une sublimation de l'acte criminel ? René Girard y voit le fondement de toute société.
Il n'est peut-être pas exagéré d'expliquer ainsi la dévotion que les gangsters italiens ou irlandais, dans les films noirs, vouent aux images pieuses. Eux aussi sont régulièrement confrontés à une violence fondatrice, sur laquelle reposent la solidarité et la prospérité du groupe, de la « Famille ». Et on a déjà vu, à propos du « Flic et la ville », comment les grandes cités s'édifièrent sur la base d'un meurtre primordial.
Francisco Reiguera dans Don Quichotte d'Orson Welles |
biblio-filmographie
Livres
. Orson Welles, Cahiers du cinéma, 1986
.
Michel CIMENT, Le Crime à l'écran – Une histoire de l'Amérique, Gallimard, 2002
.
François GUÉRIF, Le Film noir, Henri Veyrier, 1979
.
Bernard OUDIN, Le Crime entre horreur et fascination , Découvertes Gallimard, 2010
.
Romain HURET, Le Crime organisé à la ville et à l'écran – 1929-1951 , Atlande, 2002
. Dominique SIPIERE, Le Crime organisé à l'écran, Editions du Temps, 2002
.
Michel FOUCAULT, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère... , Gallimard, 1973
.
Truman CAPOTE, De sang-froid, 1966
.
Cesare LOMBROSO, L'Homme criminel, 1876
. René GIRARD, Sanglantes Origines , Flammarion, 2011
www.grand-ecart.fr/cinema/la-soif-du-mal-orson-welles/
Films
. Howard HAWKS, Scarface, 1932
.
Fritz LANG, M le maudit, 1931
.
Orson WELLES, Le Criminel, 1946
.
Charles CHAPLIN, Monsieur VERDOUX, 1947
.
John BRAHM, Jack l'éventreur, 1943
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Mervyn LEROY, Le petit César, 1931
.
Jules DASSIN, Les Forbans de la nuit, 1942
.
Francis Ford COPPOLA, Le Parrain, 1972
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Jean-François RICHET, Mesrine : l'instinct de mort, 2008
.
Bertrand TAVERNIER, L'Appât, 1994
.Claude CHABROL, La Cérémonie, 1994
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H.-G. CLOUZOT, Les Diaboliques, 1954
.
Michael HANEKE, Funny Games, 1997
.
Michael WINTERBOTTOM, The Killer inside me, 2010
.
Arthur PENN, Bonnie and Clyde, 1967
.
Alfred HITCHCOCK, Psychose, 1960
.
John WOO, Volte face 1997
.
Jonathan DEMME, Le Silence des agneaux, 1991
.
Youri BYKOV, The Major, 2013
.
William FRIEDKIN, La Chasse - Cruising, 1980
. Orson WELLES, Don Quichotte, 1992