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                   Manthos Lappas, Chimère  | 
Cinélégende propose un nouveau cycle, consacré aux chimères. "Chimère", un mot à double signification. Il s'agit tout d'abord d'un monstre redoutable à tête de lion, corps de chèvre et queue de serpent qui crachait un feu dévastateur, dévorait tous les êtres humains à sa portée, et dont le héros Bellérophon, monté sur le cheval ailé Pégase, vint à bout. C'est aussi une douce illusion, le rêve de pouvoir réaliser ses désirs et de rejoindre un avenir meilleur. Il semble a priori difficile de faire le lien entre ces deux définitions, si ce n'est de désigner ainsi le danger qui menace une exaltation irraisonnable et des projets voués à d'amers échecs. Danger que le mythe extériorise sous l'aspect d'un monstre insidieux et féroce. Sans parler de ces créatures aussi terribles que charmantes que sont les Sirènes, la Lorelei, Mélusine, ou bien le Sphinx ou les Yokais japonais.
"Caresser une chimère" reviendrait donc à entretenir une aspiration mirifique, mais inaccessible, comme le fait le héros du film La Mouche de Cronenberg lorsqu'il découvre, enthousiaste, les bienfaits de son invention et qu'il se retrouve lui-même dans la peau d'une chimère, d'un monstre répugnant, mi-humain, mi-mouche, misérable au point de supplier d'être abattu...
Sauver l'humanité - à l'épreuve du cosmos

 lundi18 novembre, 19h30 : Film
    
Interstellar  (USA, Royaume-Uni, Canada, 169 min.) de Christopher Nolan, avec présentation et débat 
en présence de Louis Mathieu, de l'association Cinéma Parlant 
Cinéma Les 400 coups, 2 rue Jeanne Moreau, Angers
Tarifs habituels aux 
400 Coups : 8,90 €, réduit 7,30 €, carnets 6 € ou 5,20 €, moins de 26 ans 
6,20 €, moins de 14 ans 4,70 € - tarif groupe, les matins  également, sur 
réservation (02 41 88 70 95) : 4,20 € 
Vers la fin du monde ? avec Yves Cochet, docteur en mathématiques, président de l'Institut Momentum, ancien ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement et ancien député européen écologiste, et Nathanaël Wallenhorst, professeur et doyen de la faculté d'éducation de l'UCO.
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                    John Hillcoat,La Route
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Yves Cochet propose une vision radicale des bouleversements liés au changement climatique que l'humanité va être amenée à vivre : "Mes arguments effondristes, qui développent la plausibilité d’une fin du monde certaine et imminente, vont à l’encontre de l’aveuglement solutionniste contemporain qui affirme que le monde résoudra ses problèmes, écologiques ou sociaux, grâce à plus de marché, plus de croissance, plus de technologie. Dans le fracas des idées, mon propos s’oppose aux croyances communes du développement durable, de la croissance verte, de la transition écologique et autres billevesées. Je soutiens qu’il faut désormais moins rêver à une utopie bucolique, souvent annonciatrice d’une réalité totalitaire issue des éthiques du Bien, et plutôt se placer dans une éthique modeste : éviter le pire plutôt qu’espérer le meilleur. Autrement dit, réduire le nombre de morts, réparer les blessures, reconstruire les ruines."
Nathanaël Wallenhorst est spécialiste de l'Anthropocène, qui se caractérise par l'avènement d'une nouvelle ère géologique ou période de l'Histoire à travers laquelle l'Homme aurait acquis une telle influence sur la biosphère qu'il en serait devenu l'acteur central.
En introduction des extraits de films seront projetés.
Université Catholique de l'Ouest, Amphi Bedouelle, 6 r Merlet de la Boulaye, Angers
Gratuit - Libre participation aux frais
mercredi 27 
novembre, 18h30 : Conférence 
Vers l'infini et au-delà : peut-on sauver l'Humanité loin d'elle ? 
, par Geoffrey Ratouis, historien
Si depuis les temps les plus reculés, les hommes, les yeux tournés vers les cieux, n'ont cessé d'admirer la voûte céleste, ce n'est qu'à partir  XVe et XVIe et les travaux de Copernic et Galilée, qu'ils ont pris la mesure de l'immensité qui les entoure. De Jules Verne à Christopher Nolan, l'infini comme ultime frontière et remède à tous les des maux de l'Humanité est devenu l'un des thèmes récurrents de la science-fiction. Mais, à l'instar de l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, le voyage vers un inconnu fantasmé n'est pas sans danger. L'homme, confronté à un indicible Univers doit affronter bien plus que toutes ses peurs dans un périple bien souvent sans retour.
Hôtel Livois (Institut Municipal), 6, rue Emile Bordier, près 
 de la place Imbach, Angers
Gratuit 
Commentaires
Textes de Philippe Parrain
Cinélégende propose un nouveau cycle, consacré aux chimères. "Chimère", un mot à double entente. Il s'agit tout d'abord d'un monstre redoutable à tête de lion, corps de chèvre et queue de serpent qui crachait un feu dévastateur, dévorait tous les êtres humains à sa portée, et dont le héros Bellérophon, monté sur le cheval ailé Pégase, vint à bout. C'est aussi une douce illusion, le rêve de pouvoir réaliser ses désirs et de rejoindre un avenir meilleur. Il semble a priori difficile de faire le lien entre ces deux définitions, si ce n'est de désigner ainsi le danger qui menace une exaltation irraisonnable et des projets voués à d'amers échecs. Danger que le mythe extériorise sous l'aspect d'un monstre insidieux et féroce. Sans parler de ces créatures aussi terribles que charmantes que sont les Sirènes, la Lorelei, Mélusine, ou bien le Sphinx ou les Yokais japonais.
"Caresser une chimère" reviendrait donc à entretenir une aspiration mirifique, mais inaccessible, comme le fait le héros du film La Mouche de Cronenberg lorsqu'il découvre, enthousiaste, les bienfaits de son invention et qu'il se retrouve lui-même dans la peau d'une chimère, d'un monstre répugnant, mi-humain, mi-mouche, misérable au point de supplier d'être abattu...
Vraisemblance
            N'essayez pas de comprendre.  
  
        Tenet, de Christopher Nolan  
Interstellar se présente comme un film spectaculaire, romanesque, mais en même temps solidement documenté, à l'écriture duquel ont collaboré d'éminents chercheurs, comme Kip Thorne, prix Nobel de physique en 2017. Les hypothèses sur lesquelles s'appuie le scénario, toutes déroutantes qu'elles puissent paraître, se réfèrent à celles de la relativité générale et de la physique quantique les plus pointues. Il n'en reste pas moins que le réalisateur s'autorise quelques invraisemblances : comment se fait-il, sauf à avoir bénéficié d'une révélation digne de l'Annonciation, que les représentants de la NASA semblent être dans l'attente de l'arrivée de Cooper pour accomplir leur mission, alors qu'ils sont véritablement surpris de le voir arriver : " On vous a envoyé ici. Ils vous ont choisi. "
 Comment comprendre également le fait que 
Cooper, arrivé près de Saturne, ait besoin que son co-équipier doive lui 
expliquer, comme à un écolier, les prémisses de la théorie de la relativité ou, 
avec une feuille de papier pliée, la nature du trou de ver ? Ce sera plus 
tard avec un simple croquis au feutre que Cooper planifiera leur trajet vers les 
planètes de la nouvelle galaxie… Comme si ce monde de haute technologie devait 
avoir encore recours à ces modes désuets de représentation ! À mentionner aussi 
l'improbable fin, qui reste purement imaginaire, et l'incontournable paradoxe du 
voyage dans le temps, cher à la science-fiction, qui contredit le principe de 
causalité. Le héros intervient pour modifier son propre passé, alors qu'il est 
déjà le fruit de cette modification : il s'envoie des messages pour se 
mettre lui-même en garde, avant de se fournir les clefs pour lui permettre de 
s'engager dans l'aventure. Enfin, à supposer que, nous dit la science, il ne 
soit pas impossible de traverser un trou de ver et d'accéder ainsi à un autre 
espace-temps, il semble difficilement envisageable que la communication puisse 
alors se maintenir avec la Terre... ? 
Jeux de l'esprit
Quoi qu'il en soit, le film se prête à de multiples interprétations. Christopher Nolan lui-même a déclaré que son film n'avait pas besoin d'être entièrement compris mais qu'il devait avant tout être ressenti. Ce réalisateur prend un plaisir évident à explorer certains paradoxes scientifiques pour aller "voir au-delà de l'horizon"
 Tenet postulait la possibilité d'inverser la causalité. 
Insomnia et Memento exploraient des états de conscience 
fortement perturbés. Et, alors qu'Inception proposait un voyage 
intérieur en direction des couches les plus enfouies du cerveau, 
Interstellar est au contraire tourné vers l'extérieur, vers l'infini et 
au-delà. Les personnages sont le plus souvent soumis à une perte des repères et 
engagés dans un parcours sacrificiel, avec en perspective les thématiques du 
temps manipulable et de l'imminence de la fin d'un monde. 
Citons Jean-Pierre Luminet pour concrétiser les hypothèses mathématiques sur lesquelles repose le film. L'astrophysicien s'interroge dans Les Trous noirs, en se mettant "à la portée de tous", sur l'existence des trous de ver : " La double nature de l'espace-temps du trou noir sphérique n'est qu'une curiosité mathématique, engendrée par la symétrie idéalisée de la solution de Schwarzschild. Les trous de ver, fontaines blanches et autres univers parallèles ne peuvent pas se former dans l'univers réel par effondrement gravitationnel des étoiles sphériques, car une singularité étrangle le milieu de la gorge de Schwarzschild " pour dire que " si ces trous de ver existent mathématiquement, ils sont idéalisés et il y a peu d'espoir qu'ils correspondent à une quelconque réalité physique… " Quoi qu'il en soit Interstellar est un film qui nécessite indéniablement un deuxième voire plusieurs autres visionnages pour bien se saisir de l'ensemble des éléments.
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thèmes mytho-légendaires du film
L'espoir et la peur se poursuivent l'un l'autre.
Dicton bouddhiste
D'ouverture, c'est d'un homme blessé, d'un héros aux ailes brisées qu'on nous parle, même s'il a su se relever et donner un nouveau sens à sa vie : " Mon père était cultivateur… " Un souffle de vent anime les champs de maïs ; son rêve le propulse dans le terrible crash qui a mis un terme à sa carrière de pilote. Ce nouvel Icare qui a voulu trop s'approcher du soleil et des lointaines galaxies, endosse alors, dans l'obscurité nocturne et aux yeux de sa fille perspicace, son statut de fantôme pour l'approcher et se mettre lui-même en garde.
Le monde ensablé
            Gaïa se comporte comme les autres grandes déesses 
mythiques, Kali et Némésis ; elle agit en mère nourricière 
mais se montre d'une cruauté implacable 
envers ceux qui transgressent ses lois, fussent-ils ses enfants  
  
         James Lovelock, La Terre est un être vivant, 
  l'hypothèse Gaïa 
Les mythes et les contes reviennent souvent sur cette menace qui pèse sur les hommes : voir leur terre se gâter et dépérir, comme lorsque Perséphone fut enlevée aux Enfers et que sa mère, Déméter, négligea de protéger les récoltes des champs. La déesse japonaise Ametarasu, excédée par la conduite de son frère, alla de la même façon se cacher dans une caverne, ce qui plongea l'univers dans l'obscurité et le chaos.
" Le blé était mort ", comme il est dit dans le film, et 
il est à craindre que la Terre ne ressemble un jour à la planète désertée "de 
Mann" que les astronautes sont appelés à découvrir… Dans Le Conte du 
Graal, le royaume, en pleine déchéance, se trouve frappé de 
stérilité : la terre est tombée en déshérence, elle est devenue "gaste?", 
et il faudra qu'au terme de sa quête, le Bon Chevalier - Perceval ou 
Galaad - ait la révélation du Graal pour que le Roi Méhaigné soit soulagé 
et qu'ainsi la bienséance soit restaurée dans le royaume. Cinélégende parlait 
déjà de cette terre désolée en avril 2008 à propos de Princesse 
Mononoké ou en octobre 2021 à propos de La Terre outragée… 
On se souvient aussi de l'Égypte qui maintenait les Hébreux en servitude et qui se vit dévastée par les dix plaies. Ou de Jérusalem qui dût être châtiée : " On n'entend, dans ses rues, que violence et que ruine, je n'y vois constamment que souffrance et blessures. Laisse-toi avertir, Jérusalem, sinon mon cœur s'éloignera de toi, je te transformerai en terre dévastée, inhabitée... " (Jérémie VI, 7,8)
Le sable qui, au début du film, s'insinue partout, recouvre tout, fige le 
paysage, pourrait évoquer la mise en garde biblique : " Tu es 
poussière et tu redeviendras poussière. " Il faut croire que, dans 
Interstellar, quelque faute originelle ait été commise et que 
l'Humanité soit soumise à un châtiment divin. Et l'état de notre société 
nombriliste, arriviste, vindicative, imprévoyante semble bien appeler un tel 
châtiment. Les contemporains de Cooper y ajoutent le défaitisme, le refus du 
progrès, la résignation. L'école bannit toute ambition : Tom restera 
cultivateur car " on n'a plus besoin d'ingénieurs ", l'horizon se 
referme sur une terre empoussiérée, et sur la planète Terre qu'il n'est pas 
question de " prétendre qu'on peut la quitter" . 
Pourtant Murphy continue de rêver, avec tous ses livres et son alunisseur jouet. Elle sait capter les messages qui proviennent de l'au-delà. L'apparition céleste du drone l'entraîne avec son père vers un idéal qu'ils suivent un peu comme les bergers de l'Évangile suivaient l'étoile de la Promesse, jusqu'à ce que les perturbations du magnétisme qui frappent les machines et les signaux gravitationnels conduisent Cooper vers sa mission.
L'arche de Noé
              J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai 
créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel ; 
car je me repens de les avoir faits. 
  
  
        Genèse  VI,7
 Le châtiment peut consister en un dessèchement de la 
terre, un long processus de désertification. Il peut aussi bien résulter d'une 
brutale submersion, un raz-de-marée ou une pluie incessante. La cause en est 
souvent, dans ce cas, moins la violence ou la perversion des hommes, que la 
décadence et le surpeuplement d'une société par ailleurs prospère et en pleine 
expansion, au point d'en être excessive. Ce fut apparemment le cas de 
l'Atlantide, et qui sait celui de la planète-océan "Miller", la première visitée 
par les astronautes. Rares sont les traditions qui n'ont pas connu leur déluge. 
On en trouve la première mention à Babylone, où le dieu Enlil, excédé par le 
vacarme provenant d'une population trop nombreuse, déchaîne des fléaux divers 
qui mèneront finalement au déluge. Mais Enki, le maître des eaux douces, le dieu 
créateur, sauve la race humaine en envoyant au Supersage Atrahasis un songe 
prémonitoire pour lui commander de construire un bateau. 
Car l'Humanité s'est nécessairement perpétuée. Plutôt que de châtier tous les hommes en les éradiquant de la surface de la Terre, la divinité décide d'en élire certains afin de sauvegarder le plus méritant, celui qui sera désigné comme le Juste. Autrement dit le Héros.
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                   Mythologie hindoue, Manu et les sept sages sauvés par Matsya  | 
Sans oublier, plus près de nous, la légende du lac de Grand-Lieu en Loire-Atlantique. Une ancienne cité nommée "Herbauges" y aurait été engloutie au VIème siècle suite à une vengeance divine dictée par la résistance que la ville avait opposée à la prédication de l'évangélisateur saint Martin de Vertou. Seuls un certain Romain et sa femme, qui s'étaient convertis, furent prévenus par un ange et épargnés. Ils partirent donc à l'aube. Hélas, souvenir de Loth à Sodome ou d'Orphée aux Enfers, ils ne devaient surtout pas regarder en arrière. Intriguée par le bruit, la femme céda à la curiosité et fut pétrifiée sur le champ. Une pierre levée sur place atteste toujours la véracité de cette funeste métamorphose.
La catastrophe étant imminente, le salut réside donc dans la fuite. Déjà, dans Dunkerque, Christopher Nolan montrait des hommes, plongés dans un cauchemar sans nom, englués sur une plage, qui luttaient pour leur survie en embarquant sur les flots. Et il s'agissait là aussi d'élus : exclusivement les Anglais. L'Exode entraînant le peuple hébreu à la suite de Moïse, les invasions barbares, la conquête du Nouveau Monde et celle de l'Ouest, tous les récits de l'exil parlent des pérégrinations de victimes en quête d'un asile pour échapper à une terre dévoyée, dévastée, surpeuplée.
Quoi qu'il en soit de la malignité des hommes, la Providence, surnaturelle, 
autant dire la Divinité veille sur l'Humanité. Ce sera pour les contemporains de 
Cooper l'apparition (et la découverte) de ce trou de ver qui permettra aux 
astronautes de passer dans l'au-delà : 
" Quelqu'un l'a placé 
là. 
- Eux !
- Et quels qu'ils soient, ils semblent veiller sur 
nous. " 
La boucle temporelle
  Un parent est le fantôme de l'avenir de ses enfants.
Message légué par la femme de Cooper à son mari et à ses enfants   
C'est la Providence donc qui vient au secours de Cooper, et de l'Humanité tout entière. Pourquoi pas un ange-gardien qui le met d'abord en garde ? En fait celui que Murphy perçoit comme un fantôme… Les signaux, dont le crash de l'avion est le premier qui lui est adressé, se multiplient et resteront inexpliqués jusqu'à ce que les énigmes du début soient explicitées, et les paradoxes justifiés. Ce n'est qu'en fin de film qu'on comprendra la nature des anomalies dans la haute atmosphère et des dysfonctionnements qui affectent la vie courante. Cooper est désigné comme l'"élu". Il est en fait son propre Dieu-Providence, et surtout celui de sa fille qui par la suite parachèvera son œuvre.
Lorsqu'il revient pour intervenir dans le passé de celle-ci, en même temps que dans le sien, il s'appuie sur le postulat aberrant, scientifiquement et moralement discutable et choquant, selon lequel le temps serait réversible, impliquant la possibilité de modifier ce qui a déjà eu lieu. C'est ainsi qu'il peut déterminer les conditions qui lui permettront par la suite de revenir dans son passé, de même que le héros de Retour vers le futur peut intervenir sur les relations de ses parents afin de lui permettre, ou non, de simplement exister, ou bien celui de L'Armée des 12 singes qui veut empêcher la diffusion d'un virus qui a déjà décimé les populations. Il faut noter que mythes, contes et légendes n'ont pas osé envisager cette possibilité. Lorsque la divinité créatrice n'était pas satisfaite de l'évolution de son œuvre, elle se contentait de tout effacer et de repartir à zéro, comme pour Yahweh avec Noé, pour Shiva enchaînant les cycles de créations et de destructions ou pour l'histoire de Deucalion en Grèce.
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Les légendes prennent bien en compte cette conception einsteinienne du glissement temporel. Les "trous de ver" qui donnent accès à l'Autre-Monde, ne manquent pas dans les récits, qu'il s'agisse des tertres irlandais ou des bras de mer qui donnent accès à l'au-delà, du terrier du lapin blanc pour Alice, de l'antre de la Sibylle pour Énée, de la lyre d'Orphée ou de la tornade qui emporte Dorothée au pays d'Oz… Cocteau, dans Orphée, mesure la durée de la visite de son héros aux Enfers par le temps que met une lettre à tomber dans la boîte. On pourrait parler du "syndrome de Bran", du nom d'un héros irlandais, christianisé en saint Brendan, qui, sous le charme d'un chant féérique, s'embarqua pour une terre paradisiaque. De retour chez lui, des siècles avaient passé et, dès qu'il mit le pied à terre, il retrouva son âge réel et tomba aussitôt en cendres. Cooper, lui, survivra. Il est vrai que ce n'est pas sur ses terres qu'il se retrouve, mais sur une toute nouvelle Terre, renouvelée, régénérée.
Le rêve d'une chimère
- Lazare ressuscitera.
- Mais il a dû mourir auparavant.
Dr Brand et Cooper
Le rêve s'est donc réalisé, la mission a été remplie, une nouvelle ère peut s'ouvrir pour l'Humanité. Mais il a fallu pour cela passer par bien des épreuves, des moments de désespoir et de panique. De doute également, de remise en question, au point que, ayant remonté le temps, Cooper confie ce message à Murphy : "Stay", Ne pars pas… On pense à la phrase qui conclut le Pickpocket de Bresson : " Jeanne, pour arriver jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre. "
Les deux premières planètes que l'on pensait pouvoir être habitables ne 
tiennent pas leurs promesses. Pire, il s'avère que le Dr Mann avait menti à ce 
sujet et que, recherchant son propre intérêt, il menace de compromettre tout le 
projet. Sans parler de la découverte que cette expédition reposait sur une 
imposture, qu'elle était dès le départ vouée à l'échec, du moins en ce qui 
concernait l'espoir d'un retour. À chaque étape, le rêve des héros se brise 
contre la réalité des faits et se transforme en un cauchemar où il leur faut 
affronter les pièges de l'espace et terrasser de véritables monstres, que ce 
soit l'incroyable puissance des éléments, ou l'hostilité déclarée de Mann pour 
Cooper ou de son frère pour Murphy, ces deux affrontements étant montrés en un 
montage parallèle culminant en des climax synchronisés, alors que les 
temporalités ne sauraient être les mêmes... Jusqu'à ce que Cooper prenne 
l'option de se sacrifier lui-même. C'est pour lui l'épreuve suprême où, tel 
Jonas se laissant avaler par la baleine, il plonge dans l'inconnu au risque de 
s'y perdre. 
La voracité du trou noir
Que grand tu as ! (supple le gousier)
François Rabelais, La vie très horrifique du grand 
Gargantua 
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                   Gustave Doré, Le repas du jeune Gargantua  | 
                                                                                                                                                                                                                                          
Un trou noir, comme celui qui menace d'avaler Cooper, est tout autant capable d'engloutir sans façon, non seulement  d'imprudents voyageurs, mais des masses d'étoiles et tout ce qui s'approche un peu trop de lui. Sa masse, qui peut équivaloir à des millions ou même à des milliards de fois celle du Soleil, est suffisamment concentrée pour qu'elle ne cesse de s'effondrer sur elle-même du fait de sa propre gravitation. La lumière elle-même, et le temps ne peuvent échapper à sa formidable gloutonnerie.
La rédemption
  Nous nous sommes toujours définis 
par notre capacité à surmonter l'impossible.
Cooper  
 Le passage aux abords de Gargantua est vécu par Cooper 
comme un long et épuisant accouchement, ponctué d'un appel insistant : 
" Éjection ! " Jusqu'à ce qu'il se trouve projeté dans 
un nouveau milieu, un monde inconnu où il a tout à ressentir, tout à découvrir 
et où il lui faut apprendre à communiquer. Loin de disparaître, d'être englouti, 
il accède à un espace-temps qui le renvoie à son passé avec Murphy enfant et qui 
le propulse dans son avenir avec Murphy agonisante, au sein d'une Humanité 
régénérée qui, grâce à lui et surtout à sa fille, a pu assurer sa survie.
Il aura fallu pour cela briser le catastrophique enchaînement des calamités qui frappaient le genre humain en le condamnant à la dégénérescence et à une extinction plus ou moins prochaine. Athéna avait de même pu suspendre la malédiction qui, de meurtres en incestes, pesait sur les générations successives des Atrides. Tandis que le cycle bouddhique des réincarnations trouve son ultime résolution en atteignant l'Éveil et le nirvana.
Le film peut aussi bien se référer au dogme chrétien, ce que suggère le nom des missions antérieures vers les planètes lointaines : Lazare. Cooper est désigné par une annonciation supranaturelle comme l'Élu qui doit sauver l'Humanité. Une présence invisible le guide tout au long de son parcours. C'est lui qui est le Sauveur qui doit ressusciter les expéditions Lazare, au nombre de 12 comme les apôtres (dont un Judas, le Dr Mann). Et c'est lui qui se sacrifie pour racheter les hommes.
C'est de son côté en résolvant sa fameuse équation que Murphy permet à son père d'échapper à l'implacable principe de causalité qui affirme que si un phénomène A (la cause) produit un phénomène B (l'effet), alors l'effet B ne peut précéder la cause A. C'est grâce à cette entorse à la Science que Cooper permettra à l'Humanité d'assurer son salut.
Par-delà les épreuves, cette mission repose sur la très grande confiance que 
les astronautes accordent au Destin, alors même que seuls quelques millimètres 
d'alu les protègent du vide sidéral. Ils évoquent la foi de ces grands 
navigateurs qui partaient à la conquête des mers sans seulement savoir nager. 
Ils rêvent aux étoiles et cherchent à atteindre l'infini pour sauver l'Humanité. 
" Vous savez, on va s'exposer là-bas à de grands risques. La mort, 
mais… pas le mal ", annonce Amelia pour laquelle la nature ne saurait 
être maléfique, même si elle reste redoutable, effrayante. 
Ce qui la guide, 
c'est la force de l'amour : " Seul l'amour, de toutes les choses 
qu'on perçoit, transcende les dimensions temporelles et spatiales. " 
Pour elle, l'amour qui la porte vers Edmunds, parti à l'autre bout de l'univers. 
Pour Cooper, celui qui le rattache à sa fille qui attend son retour. 
D'où vient une telle aspiration à partir dans l'espace ? Elle perpétue sans doute cet esprit pionnier qui a toujours animé les hommes et qui les a entraînés à travers les continents vers de nouvelles frontières. Par curiosité ou esprit d'aventure, bien sûr, mais aussi par nécessité, pour fuir la misère et l'adversité. Il semblerait désormais que l'avenir du genre humain ne soit pas sur cette Terre. Elon Musk entend protéger certains privilégiés des tribulations de notre monde en les envoyant coloniser la planète Mars. Konstantin Tsiolkovski, ingénieur et philosophe russe, pionnier dans l'exploration spatiale, écrivait déjà en 1911 que " la Terre est le berceau de l'Humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau. "
Cooper ne dit pas autre chose : " L'homme est né sur Terre. Rien ne l'oblige à y mourir "
   Les fins du temps
La période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu'aura jamais vécu l'humanité en si peu de temps. À quelques années près, elle se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l'intervalle de survie (2030-2040), le début d'une renaissance (2040-2050).
Yves Cochet, Devant l'effondrement
D'ouverture, c'est d'un homme blessé, d'un héros aux ailes brisées qu'on nous parle, même s'il a su se relever et donner un nouveau sens à sa vie : " Mon père était cultivateur… " Un souffle de vent anime les champs de maïs ; son rêve le propulse dans le terrible crash qui a mis un terme à sa carrière de pilote. Ce nouvel Icare qui a voulu trop s'approcher du soleil et des lointaines galaxies, endosse alors, dans l'obscurité nocturne et aux yeux de sa fille perspicace, son statut de fantôme pour l'approcher et se mettre lui-même en garde.
L'agonie de la lumière
Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt.
Saint Augustin, Sermon sur la chute de Rome , an 410
Le monde risque-t-il de disparaître, et quel monde ? S'il s'agit de l'Univers, il pourrait poursuivre son expansion au point de se diluer, ou bien se contracter jusqu'au Big Crunch, le grand déchirement final, l'inverse de Big Bang. Mais il peut encore survivre des dizaines de milliards d'années. Il faudra aussi attendre quelques milliards d'années pour que le Soleil engloutisse notre planète.
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                   Vincente Minnelli, Les quatre Cavaliers de l'Apocalypse  | 
Le statisticien Nassim Taleb émet l'hypothèse d'un "Cygne noir" manifestant la puissance de l'imprévisible : un événement totalement inattendu qui a une très faible probabilité de survenir mais qui, si jamais il se produit, a des conséquences d'une portée considérable et exceptionnelle.
résilience
Une autre fin du monde est possible.
Titre du livre de Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle
L'Humanité cependant n'est peut-être pas condamnée sans appel. Elle pourrait bien, elle et pas seulement quelques privilégiés, survivre sur cette vieille Terre par-delà la Catastrophe. Servigne en appelle à une indispensable prise de conscience et à de multiples initiatives de par le monde. Et, après tout, la vie ne reprend-elle pas ses droits, même sur des sites condamnés comme Fukushima et Hiroshima ?
Livres
. Jean-Pierre LUMINET, Les Trous noirs, 
Tallandier, 2022
. Yves COCHET, Devant l'effondrement, Les Liens qui 
libèrent, 2019
. Bernard WERBER, Le Papillon des étoiles      
         
     , Albin Michel, 2006
 
FILMS
. Stanley KUBRICK, 2001 : l'odyssée de l'espace, 
1968
. Douglas TRUMBULL, Silent Running, 1972
. Cornel WILDE, 
Terre brûlée, 1970
. John HILLCOAT, La Route, 2009
. 
Richard FLEISCHER, Soleil vert        
    
    
    
   , 1973
            
          
            
