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carnaval et réveil de l'ours

Un jour sans fin
16 février 2006
17h00 : Conférence

Rencontre-débat avec G. Bertin et J.-D. Lajoux sur la fête de l'ours, avec films documentaires.
CNAM, Centre d'Enseignement d'Angers, 122 rue de Frémur, Angers
Participation aux frais : 1 €

20h15 : Film

L'Ours (6 min) de J.-D. Lajoux, Un jour Sans Fin (103 min) de Harold Ramis, avec présentation et débat.
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 coups : 7 €, réduit 5,80 €, carnets 4,90 € ou 4,30 €

Dans l'espérance du printemps, l'ours s'éveille. Il s'ébroue et quitte sa tanière. Cet évènement est célébré des Pyrénées à la Sibérie.

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Appréciation

Textes de Philippe Parrain

Le scénario, d'une rare intelligence, est parfaitement mis en valeur par la mise en scène et le montage, et soutenu par une interprétation tout en nuances. Mais c'est avant tout un humour de situations qui entraîne le spectateur, faisant de ce film un vrai moment de bonheur et de détente, en même temps qu'un sujet de réflexion aux multiples résonances.

Voir la fiche pédagogique Film et Culture : www.film-et-culture.org/fiches/joursans-fin.pdf

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Thèmes mytho-légendaires

Plusieurs thèmes associés à la fête de l'ours sont présents dans ce film :

  • le processus d'humanisation de l'ours, de l'être sauvage
  • la traque de l'ours/marmotte par les chasseurs/policiers
  • les tentatives pour séduire et "enlever" la femme
  • le fait pour celle-ci d'accepter de le suivre dans sa chambre/tanière
  • les morts et résurrections successives de l'ours.

Le parcours initiatique que doit suivre le personnage, constitué d'une série d'étapes, d'épreuves qu'il négocie de façon plus ou moins habile, mais qui peu à peu lui servent d'apprentissage et lui permettent de trouver sa place dans la vie.

Un jour sans finLa femme initiatrice qui permet de passer le pas, d'échapper à la fatalité.

La coupure d'avec le monde : le blizzard isole la petite ville, au nom imprononçable, à la façon de ces châteaux, forêts ou îles merveilleuses, lieux enchantés, ou du Val Sans Retour où Morgane retient les chevaliers infidèles.

La sortie du temps : certaines périodes de chamboulement inversent traditionnellement les valeurs sociales, comme le Carnaval, ou comme les « 12 jours » qui, de Noël à l'Epiphanie (6 janvier), opèrent le passage d'une année à l'autre : ce temps en-dehors du temps, où l'on fêtait les fous, les ânes, les enfants …, permettait de réajuster le calendrier solaire sur le calendrier lunaire (lequel compte 12x29,5 = 354 jours).

Il s'agit là d'un thème de science-fiction, mais on le retrouve également dans la légende avec, par exemple les navigations miraculeuses (st Brendan) d'où l'on revient dans un monde qui a vieilli de plusieurs siècles.

Le maître du temps (celui qui passe, ou celui qu'il fait) : en tant que présentateur météo, Phil est supposé maîtriser le temps dans les deux sens du terme, puisqu'il est capable d'annoncer celui qu'il fera dans l'avenir. Et ce sont ces deux temps qui en fait le piègent puisqu'il se retrouve coincé dans un repli temporel à cause d'un incident météorologique. Ce paradoxe ne lui permet pas moins de parvenir à une certaine omniscience : il entrer dans l'intimité des personnages, prévoit le moindre évènement et intervient dans le cours des choses. Il devra simplement apprendre à en user de la meilleure façon.

La double nature de l'être humain, à la fois raisonnable et bestial (tel Dr Jeckyll et Mr Hyde), qui se matérialise dans la figure de l'homme sauvage. L'ours est traditionnellement considéré comme un homme velu, qui, telle la Bête du conte, redevient homme lorsqu'il quitte sa fourrure ou lorsqu'on le rase. Le héros du film et la marmotte ne portent-ils pas le même nom ?

Les jeux des "si", les déclinaisons du hasard : combien de journées peut-on vivre à partir des mêmes données, selon que l'on fait tel et tel choix ?

La rédemption de Phil qui, comme dans la légende de saint Julien l'Hospitalier, résulte de ses efforts désespérés pour ramener un vieillard à la vie. C 'est en fait son passage qu'il paie, lorsqu'il accepte – enfin – de répondre au clochard qui, pendant des jours et des jours sans fin, lui tend vainement la main.

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le 2 février et la fête de l'ours

A la Chandeleur, l'hiver se meurt ou prend vigueur.

Selon un dicton populaire, le temps au 2 février indique la fin de l'hiver : si le jour est nuageux, alors le printemps sera précoce ; si le jour est clair, alors l'hiver durera encore six semaines !

La tradition rapporte volontiers cette prévision météorologique (ou sans doute plutôt la phase de la lune : si la nuit on peut voir son ombre) à la déshibernation de l'ours :

Dans la nuit du 1er février, à minuit,
L'ours sort de son antre pour observer le ciel.
Si le ciel est clair, si les étoiles brillent,
Il se lèche la patte et y rentre à nouveau.
L'hiver n'est pas fini, il y aura encore 40 jours de mauvais temps.
Si, au contraire, le ciel est couvert de nuages,
S'il pleut ou s'il neige, il ne retournera plus dans sa tanière,
Car, dit-il, l'hiver est terminé. Voici le beau temps.

Ce moment, qui peut se situer entre fin décembre et avril, est celui de la fête de l’ours (ou de la marmotte), célébrée à travers toute l'Europe. Il faut sans doute y voir le vestige d’anciens rites de chasse : tandis qu’en Laponie ou en Sibérie on va, avec une grande vénération, réveiller l’ours avant de le tuer rituellement et de « communier » avec sa chair, dans les Pyrénées ou en Suisse alémanique, on se livre à une mascarade où l’ours tient une place essentielle. On peut y voir l’amorce des fêtes carnavalesques : le premier jour possible pour le mardi gras se situe effectivement le 3 février, lendemain de la date traditionnelle pour la fête à Prats-de-Moll, Saint-Laurent-de-Cerdans ou Arles-sur-Tech, dans les Pyrénées.

En Sibérie, l'ours est considéré comme un parent : c'est parfois l'Ancêtre, fondateur, avec une jeune fille, de la tribu ; c'est sous cette forme que les morts se réincarnent ; et l'on parle volontiers de métamorphoses entre homme et ours (comme dans les contes où l'on voit l'animal défaire sa fourrure en rentrant chez lui, l'accrocher au mur, et redevenir homme) : « Velu, l'homme est un ours ; rasé et glabre, l'ours est un homme. »

Cet animal évoque également l'homme primitif, non socialisé, l'homme sauvage, que l'on a pu considérer comme « le chaînon intermédiaire entre l'homme et l'ours. C'est-à-dire le fils d'une femme et d'un ours ». Et de fait, de Jean de l'Ours à Boucle d'Or, les histoires ne manquent pas qui unissent l'ours à une femme, parfois enlevée de force, se réfugiant parfois d'elle-même dans la tanière de l'animal, mais trouvant un certain bonheur en cette compagnie. Elle en obtient un fils : ce plantigrade ne jouit-il pas d'une proverbiale vigueur sexuelle ?

L'ours avec l'homme, c'est un peu une histoire de famille. Il en est en quelque sorte le double, sa face obscure : tous deux sont plantigrades, capables de se tenir debout, et ils étaient autrefois en concurrence pour s'abriter et se nourrir. J.-D. Lajoux note que « l'ours est le plus gros animal sauvage des pays froids et tempérés. Il n'a aucun adversaire à sa taille mais trouve en l'homme, dans certains pays, un irréductible ennemi ». Il a aussi stimulé l'imagination, comme la marmotte, en hibernant : évitant de bouger et d'être en contact avec le froid, ces animaux dépensent très peu de calories et traversent ainsi l'hiver dans un quasi-sommeil.

L'ours est réputé migrer vers l'au-delà pendant sa période d'hibernation, et il s'est vu sacralisé par les chasseurs du Grand Nord. Il l'était également en Grèce ou en Gaule, puisque la même racine ursine *art définit aussi bien le roi Arthur qu'Artémis ou la déesse celte Artio, connue près de Berne, ville consacrée à l'ours.

Et la christianisation n'a pas su, ou voulu gommer cette dévotion, puisqu'il célèbre, du 29 janvier au 6 février, st Ursin, st Urcissin, st Agrève, st Blaise, st Amand, st Vaast, ste Véronique/Bérénice, tous plus ou moins liés à l'ours, et la Chandeleur autrefois désignée sous le nom de Chandelours.

Un jour, comme elle traversait la forêt, une jeune femme fit la rencontre d’un ours. Apeurée, elle ferma les yeux. L’ours la prit sur son dos, et l’emporta dans sa tanière. Il l’y enferma en roulant une grosse pierre devant l’entrée. Tous les matins il la quittait, et tous les soirs il lui ramenait de quoi manger. L’hiver passa, et au printemps elle mit au monde un fils. Tous deux demeurèrent encore dans cette grotte pendant six longues années. Alors l’enfant eut assez de force pour pousser la grosse pierre et trouver la liberté pour lui et sa mère. Mais celle-ci se vit rejetée par tous, et son fils, qui était tout velu, devint la risée des enfants qui lui jetaient des pierres en l’appelant « Jean de l’Ours ».Cependant il grandit en taille et en force. Il inspirait la crainte et on fut bien obligé de l’accepter, d’autant plus qu’il était toujours prêt à rendre service, et qu’il abattait à lui seul de lourdes tâches. Il se fit embaucher par un forgeron, mais fut congédié car il ne pouvait s’empêcher de briser les outils de son maître. Il se forgea alors une solide canne de fer, et partit à la découverte du monde. Ce fut là le début de nombreuses aventures …

L'ours enfin est associé à la lune : les Eskimos l'appellent Homme-Lune ; et l'on compte 40 jours – une lune et demie – entre la St-Martin (11 novembre), début de son hibernation, et Noël, lorsqu'il se retourne dans sa tanière, entre Noël et le 2 février, terme possible de son hibernation, et encore entre ce jour et son ultime réveil. Ces mêmes 40 jours font passer de Mardi-Gras à Pâques, d'une nouvelle à une pleine lune.

Les principaux épisodes de la fête, volontiers agrémentés d'obscénités dites ou mimées, proposent : la sortie de l'ours qui descend de la montagne, la poursuite par les chasseurs, l'attaque des filles - semblant répondre à un réflexe quasiment incontrôlable et évoquant une version non idéalisée de King Kong - puis les tentatives d'enlèvement de « la » Femme (que, dans les Pyrénées, on appelle volontiers Rosetta) par l'ours, les morts et résurrections, la capture et le rasage qui finalement humanise l'animal.

Mais Rosetta n'est pas un nom inconnu des cinéphiles : c'est bien une femme sauvage en quête d'humanisation, de socialisation que nous présentent les frères Dardenne : on la voit sortir de sa tanière-caravane, changer de peau (les bottes contre les chaussures) avant de passer la route/frontière entre les deux mondes, et enfin mourir et ressusciter … : autant de thèmes propres à la fête de l'ours. Rosetta n'incarne-t-elle pas l'archétype féminin abondamment chanté lors du carnaval de Dunkerque sous le nom de Rose ou Rose-Marie ? Le nom « Rose », qui fait appel aux mêmes consonnes que le mot « ours », semble d'ailleurs appeler les fleurs et le printemps.

Rosetta

A Arles-sur-Tech (Pyrénées Orientales)Le dimanche après-midi suivant la Chandeleur, on se retrouve au son de la musique sur un pré : un garçon, déguisé en fille, joue le rôle de Rosetta ; des comparses masqués sont vêtus de corsages ; et d'autres sont les chasseurs, armés de tromblons.

Subitement l'ours, couvert de peaux de chèvres et portant un masque peint, surgit, venant de la montagne. Il se précipite sur Rosetta ou sur les spectatrices. Confusion, cris et coups de fusil. Enfin il est capturé et enchaîné. Tous se rendent en ville, accompagnés par la musique. L 'ours tente de se libérer.

Mais le chasseur en chef le retient et le force à danser. On arrive sur la place où une hutte représente la tanière de l'animal. Justement celui-ci s'échappe et y entraîne Rosetta. Nul ne sait ce qui se passe entre eux, si ce n'est qu'on dit qu'il lui offre de la saucisse, du vin blanc et du gâteau. Puis l'ours sort et attaque les chasseurs. Mais les coups de feu partent, et il tombe à terre, mort.

Il est ramené sur la place où il ressuscite. On le rase alors avec un couteau de bois. Il se jette une dernière fois sur Rosetta. Mais les chasseurs tirent encore et le tuent pour de bon. La fête se termine dans l'allégresse générale.

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l'ours en Anjou et dans la région

Il y a belle lurette qu'on ne voit plus d'ours en Anjou. Et notre département n'est pas particulièrement riche en témoignages du "culte de l'ours" (ou de la simple empreinte légendaire de cet animal), comme peuvent l'être la Suisse alémanique, ou les Pyrénées.

On peut toutefois relever quelques traces :

- Le nom d'Artannes dérive du gaulois artos, "ours".

- On note à St-Georges-des-7-Voies la légende d'une fille enlevée par le Diable (auquel l'ours est fréquemment assimilé), lequel la prend dans ses bras et l'emporte sous terre jusqu'au lieu-dit le Mont-Blanc. Folle de frayeur, elle demande grâce et supplie l'inconnu de la laisser partir. L'homme y consent, mais à condition de lui livrer son premier-né. Devenue enceinte (à la suite de sa séquestration ?), elle se confie à son curé qui s'empresse de baptiser l'enfant avant qu'il ne voit le jour. Ainsi le Malin est joué ... On dit que cela s'est passé vers l'an 1810 ...

- Les thèmes de l'hibernation et de la sortie du temps se retrouvent à St-Florent-le-Vieil, avec saint Mauron dont il est dit qu'il vécut cent ans enfermé dans une grotte où, tout à son oraison, il s'était endormi.

- Deux saints ligériens, Martin de Tours et Martin de Vertou, tous deux présents en Anjou, évoquent par leur nom une appellation familière de l'ours. Certains ont pu identifier la racine celtique *art, "ours" dans leur nom. Quoiqu'il en soit, ils œuvrèrent tous deux à l'humanisation des campagnes restées à l'état sauvage.

- Angles, en Vendée, exhibe sur le fronton de son église un ours connu sous le nom de Malebête, qui, en attendant d'être dominé, faisait des ravages dans les environs.

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jean-dominique lajoux

Ethnologue, chercheur au CNRS, photographe et cinéaste.

J.-D. Lajoux suit les cours de l'Institut d'Ethnologie, au Musée de l'Homme de Paris, poursuit des recherches dans le cadre du Musée des Arts et Traditions Populaires, puis participe à la création du CNRS Audiovisuel. C'est alors qu'il commence à étudier les fêtes et coutumes de villages. Les mascarades y tiennent une place importante.

L'ours s'avère le pilier de ces manifestations totalement dépendantes du calendrier et de son histoire. Autant de sujets qui mèneront J.-D. Lajoux à soutenir une thèse sur le Calendrier et les Fêtes calendaires dans l'Europe contemporaine. Cette thèse a été suivie par l'étude des traditions relatives à l'ours dans tous les pays où vit cet animal. Il poursuit aujourd'hui ses investigations sur l'ours dans la préhistoire à la recherche de la première religion de l'homme.

Auteur de nombreux articles et de L'Homme et l'ours, Tassili n'Ajjer, art rupestre du Sahara préhistorique, Le tambour du Déluge, villages des montagnes d'Indochine, co-auteur de Art Profane et Religion populaire au Moyen âge.

Réalisateur de plus de 70 films documentaires ethnographiques.

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Les intervenants

Jean-Dominique Lajoux est chercheur et réalisateur de films ethnographiques. Spécialiste de la mythologie de l'ours, il a écrit L'Homme et l'ours (Glénat, 1996),

Georges Bertin est socio-anthropologue, directeur du CNAM Centre d'Enseignement d'Angers et de l'IFORIS.

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bibliographie

Jean-Dominique LAJOUX, L'Homme et l'ours, Grenoble, Glénat,1996

Claude GAIGNEBET et Jean-Dominique LAJOUX, Art profane et religion populaire au Moyen Age, PUF, 1985

Michel PRANEUF, L'Ours et les hommes dans les traditions européennes, Paris, Imago, 1989

Olivier de MARLIAVE, Trésor de la mythologie pyrénéenne, Editions Sud-Ouest, 2005

Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français, vol. 1

Claude GAIGNEBET, Le Carnaval, Paris, 1974

Claude SEIGNOLLE, Jean de l'Ours, Hesse, 2004, Orson et Valentin, Nathan, 1990

Les livres de contes comme Boucle d'Or, Jean de Fer, L'Homme à la peau d'ours …

Quelques films qui nous parlent de l'ours :

L'Ours, de Jean-Jacques Annaud
Grizzli Man, de Werner Herzog
Rosetta des frères Dardenne
La Règle du jeu, de Jean Renoir
Mischka, de Jean-François Stévenin

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Programme 2006

un jour sans fin

Etats-Unis, 1993, 103 minutes, couleurs. "Groundhog day" (v.o.)

Réalisation : Harold Ramis
Scénario : Danny Rubin, Harold Ramis
Interprètes : Bill Murray (Phil Connors), Andie Mac Dowell, (Rita Hanson)

AFFICHEUn jour sans fin

SUJET
Phil Connors, présentateur météo grincheux et arrogant, doit tourner un reportage sur la fête traditionnelle de la petite ville de Punxsutawney célébrant le réveil printanier de la marmotte. Il est d'humeur exécrable et compte bien repartir le soir même.

Mais lorsqu'il se réveille le lendemain, il découvre avec stupeur que la date n'a pas changé et qu'il est condamné à revivre un par un les événements de la veille.

Les jours passent, tous des 2 février. Connors se voit dès lors obligé de faire face à la répétition infinie du Jour de la Marmotte.