Cinélégende

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contes de la bonne fortune

jeudi 10 décembre, 18h30 : Conférence
Tout est bien qui finit bien… contes de Noël, bonne fée et happy end !, par Geoffrey Ratouis, docteur en histoire, spécialisé en histoire culturelle

"Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants" : Que serait un conte de fée sans une fin heureuse ? Les princesses doivent trouver chaussure à leurs pieds, les héros triompher du danger et les méchants être châtiés. Loin d’être anecdotiques, ces contes où tout est bien qui finit bien, qu’ils soient de Noël ou d’ailleurs, sont autant de messages d’espoir lorsque sonnent les heures sombres de notre histoire.
Institut Municipal, place Saint-Eloi, Angers
Gratuit

vendredi 11 décembre, 20-22h :
Atelier d'écriture créative : écrire aujourd'hui à partir des contes d'antan. Ouvert à tous : novices ou plus expérimentés
Le récit initiatique : voyage « guidé » en imagination, par Schéhérazade (Véronique Vary)

"Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants". Bon d'accord. Mais un jour…
Réécrivez l'histoire, vos histoires. Nous allons d'abord avancer nos pions. Essayer de ne pas tomber sur la case prison. Renaître de nos cendres. Sauter un obstacle. Nous rencontrer au Château des destins croisés d'Italo Calvino et redistribuer les cartes. Ce soir c'est permis.

Association Cinélégende, 51 rue Desjardins, Angers
7 € ( réduit 5 €) - forfait pour 3 ateliers : 15 € (réduit 10 €) - révervation 02 41 86 70 80
Voir les textes produits au cours de cet atelier

samedi 12 décembre, 15h30  (enfants), 20h (adultes) : Contes
La bonne étoile, contes au petit bonheur la chance, par Sylvie de Berg
Si vous n’êtes pas né coiffé, que tout vous vient à contrepoil, que vous êtes dans le pétrin, que le guignon vous suit sans trêve, ces histoires sont pour vous ! Vous aurez la fève au gâteau, le vent vous soufflera en poupe, la baraka logera chez vous, vous gagnerez à tous les coups.
Des contes de partout, drôles et sages, gais et touchants pour voir et vivre bien, saisir le train de notre chance, et taquiner notre destin !
Les contes accompagnent Sylvie depuis sa toute petite enfance, et sa vocation se révèle en 1998, à l’atelier d’Henri Gougaud (« Les 7 plumes de l’Aigle »). Durant les 15 ans où elle y est apprentie, sa parole-présence germe, et aussi le pressentiment qu’elle a de la magie de la vie. Exploratrice passionnée, elle s’initie depuis près de 40 ans aux mystères des mondes auprès de témoins de traditions diverses.
Elle dit à tous les publics des contes du patrimoine oral, réveille les mythes des lieux et, par sa transmission qui est aussi un témoignage, elle avive la relation poétique des personnes aux contes et à la vie.

Maison de Quartier St-Léonard, 64 rue Gabriel Lecombre, Angers
4,50 €, moins de 12 ans : gratuit

voir  l'affiche 

mardi 15 décembre, 20h15 : Film
La Vie est belle (USA, 129 min.) de Frank Capra, avec présentation et débat en présence de Louis Mathieu et de Philippe Grosbois

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95

Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €, carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 €
Groupes scolaires (matinées du 9 au 15 décembre, réservation : 02 41 88 70 95) : 3,80 € 
 

mardi 29 décembre, 13h30 : Film
Les Aventures de Pinocchio (Italie, 135 min.) de Luigi Comencini, avec présentation et débat en présence de Simon Astié

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95- tarif groupes : 3,80 €

Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €, carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 €
Groupes (matinées du 16 au 29 décembre, réservation : 02 41 88 70 95) : 3,80 €

 

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Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Wadjda et Le vilain petit Canard abandonnaient leurs héros au moment où ils s'envolaient vers leur destinée. Ceux de La Vie est belle et des Aventures de Pinocchio poursuivent leurs chemins, à la découverte du vaste monde pour l'un, ou bien, plus prosaïquement pour l'autre, dans les arcanes d'une vie dévouée à ses concitoyens. Tous deux sont en quête d'eux-mêmes et nous entraînent, par-delà le merveilleux des circonstances, dans deux contes finalement très réalistes.

La Vie est belle

George Bailey et Mary
Fils de petits paysans siciliens émigrés aux USA alors qu'il avait six ans, Frank Capra (1897-1991) s'est fait le chantre du rêve américain selon lequel toute personne déterminée et méritoire peut accéder au succès : rêve qui idéalise à la fois un certain individualisme humanitaire, la défense des libertés, la foi en la démocratie et un enracinement dans la communauté qui repose sur les vertus des liens familiaux. La Vie est belle, son film préféré, est une comédie qui rallume l'optimisme dans la pire des situations. Cet étonnant chef-d'œuvre de générosité déborde de chaleur humaine, notamment dans des scènes de groupes pleines de vie. La solidarité s'y oppose à la cupidité, la féerie s'immisce à merveille dans la critique sociale. La mise en scène, toujours juste, la beauté des images, le jeu tout en finesse des acteurs, l'humour habillent avec élégance ce superbe conte de Noël.
voir le dossier pédagogique 

Les Aventures de Pinocchio

La fée et le pantin
Ce film, qui résume un feuilleton destiné à la télévision, enrichit le roman de Collodi dont il est l'adaptation  : la fée n'attend pas la fin du récit pour transformer le pantin en petit garçon, les scènes purement fantastiques (comme les animaux qui parlent) sont gommées, et surtout le merveilleux s'ancre davantage dans la réalité, privilégiant l'évocation d'une Toscane misérable où la faim est une préoccupation constante.

De même le récit moralisateur du roman, prônant les bons sentiments, s'efface ici pour exalter la spontanéité de l'enfant et faire l'apologie de la liberté. Il s'agit d'un traité d'éducation non conformiste qui, non sans humour et quoi qu'il puisse en coûter, préfère l'école buissonnière aux règles d'une bonne conduite.

Comencini, auteur notamment de L'Incompris , se montre complice avec Pinocchio (et il le fut avec son interprète que Gina Lollobrigida trouvait trop mal élevé et qu'elle voulait faire remplacer). C'est à son intention qu'il introduit ici le personnage (absent) de la « mère », image à laquelle il aspire et qui confère au film une féerie plus intime.
voir le dossier pédagogique 


thèmes mytho-légendaires des films

Générique des Aventures de Pinocchio
Les deux films s’affichent dès l’ouverture, avec leurs cartons des génériques, en tant que contes, de Noël ou bien merveilleux. La vie de George Bailey est racontée à l’ange sur le mode « Il était une fois » : il est ingénu et foncièrement bon ; Mary, épouse idéale, n’a aucun défaut, tandis que Potter, comparé à un « roi » roulant carrosse, est carrément l’homme « le plus méchant du comté », visiblement une incarnation estropiée du Diable ; quant à l’oncle Billy, accompagné à chaque moment critique de son corbeau et consolé par son écureuil, est l’auxiliaire parfait qui, non seulement seconde le héros, mais surtout le soumet à l’épreuve qualifiante. Le grillon est aussi, pour Pinocchio, un animal de bon conseil, même s’il se fait rabrouer et si son rôle est moins important que dans le roman. Gepetto quant à lui est pauvre, mais bon jusqu’au bout des ongles ; et Pinocchio incarne un véritable personnage de conte qui, sans se poser de questions, fait l’apprentissage de la vie, alternativement malmené par les méchants et secouru par la fée…

L’appel du merveilleux

Plus loin que la lune, plus loin que l’arc-en-ciel…
Dorothée, dans Le Magicien d’Oz

La maison sous la neige
Au début est le verbe : des suppliques s’élèvent vers le ciel, auxquelles celui-ci répond au sans propre du terme, et la bûche interpelle celui qui entreprend de la couper ; l’inanimé s’anime, les étoiles vivent, le bois se trouve doté de conscience. Ces paroles, magiques, ouvrent les récits sur une note d’irréalité que confirme la neige qui, dans La Vie est belle, tombe à gros flocons en enveloppant douillettement les maisonnées, et qui, dans Pinocchio, amène la fée, à moins qu’elle ne souligne la dure réalité, le froid, la misère. Mais, dans les deux cas, on échappe d’emblée au monde du visible, de l’expérience immédiate.

Pinocchio et George, qui se tiennent en marge de la société, se rejoignent dans leurs rêves d’enfant : se mettre en chemin, échapper à la banalité du quotidien, embarquer pour les lointaines Amériques, devenir explorateur… L’ange Clarence affiche d’ailleurs une dévotion toute particulière (qu’il transmettra à George) pour les facétieuses aventures de Tom Sawyer, lesquelles avaient été écrites (comme celles d’Alice au pays des merveilles) juste avant celles de Pinocchio. À peine « né », le petit pantin se hisse pour regarder par la fenêtre et s’évade de la pauvre masure de Gepetto, tandis que George du mal à se contenter de la sécurité familiale prêchée par son père : « Un homme a besoin d’avoir un toit, une maison ». Les héros de contes eux aussi étouffent en restant en place et, tel le vaillant petit tailleur qui « résolut de courir le monde, car sa boutique lui semblait désormais un trop petit théâtre pour sa valeur », ils partent à la conquête des mondes.

Hélas pour lui, George reste coincé dans sa petite ville et ne voyage que dans sa tête en lisant des catalogues. Mais c’est déjà une façon de s’évader. C’est d’ailleurs là un thème récurrent au cinéma où le rêve et la fantaisie aspirent toujours, depuis les origines de cet art (Méliès vs Lumière), à s’arracher au carcan de la réalité. De Quai des brumes à Lola, nombreux sont les ports qui collent à la peau et parlent d’ailleurs inaccessibles, sans parler de l’île que le héros de Truman Show est incapable de quitter, en attendant comme George de partir pour les Fidji… On peut imaginer que les contes, racontés à la veillée, remplissaient la même fonction d’évasion pour des paysans rivés à leur terre.

Dans le ventre de la baleine
Au demeurant, George connaîtra bien l’aventure au quotidien, l’affrontement du méchant, l’aide providentielle, et la révélation de nouveaux horizons : sans avoir besoin d’aller loin, c’est une toute nouvelle ville qu’il découvre. Pinocchio, lui, largue les amarres sans état d’âme, répondant à une sorte de besoin vital. Et, toujours comme dans les contes, tous deux, au terme de leur quête, regagnent, enrichis, le réconfort du foyer familial, que ce soit pour fêter Noël dans la joie partagée, ou bien en retrouvant son papounet dans le ventre de la baleine : le Petit Poucet, qui y avait cependant été assez mal traité, « revint chez son père, où il n'est pas possible d'imaginer la joie qu'on eut de le revoir. Il mit toute sa famille à son aise… », nous raconte Perrault.

C’est la fée -  une « fée-marraine » comme on en trouve dans les contes - qui, d’un pantin, fait un petit garçon. Elle enchante à son intention une bien triste réalité en incarnant une mère attentive, mais absente, qui du haut de son portrait accompagne le « père » lorsque le pantin prend vie. Et c’est l’ange qui révèle à George la face cachée des choses. Mais il y aussi Mary qui, dès l’enfance, bonne fée elle aussi, veille secrètement sur lui (elle lui confie sans qu’il puisse l’entendre : « Je t’aimerai toute ma vie ») ; c’est sa réapparition à l’occasion du bal qui va transformer le « pantin » George, un grand enfant coincé dans ses responsabilités, en amoureux transi avant de lui faire vivre l’aventure de la vie de famille... Le conte, ce « conseiller secret des hommes » selon Nicole Belmont, leur permet de vivre leurs destins.

Le départ

Il se mit donc en route, et, après avoir longtemps chevauché…
Les frères Grimm, L’Eau de vie

Les deux films pourraient faire suite à Wadjda ou au Vilain petit Canard dont les fins étaient en devenir : par-delà le passage à la majorité, ou du moins à un certain « âge de raison », les héros se trouvent pourvus des moyens de locomotion (le vélo, les ailes) qui leur permettront de partir vers de nouveaux horizons. Ils deviennent autonomes et s’engagent dans la vie. Il leur revient surtout de définir leurs places dans le monde ; ils doivent être « initiés», ce qui serait, selon Propp et bien d’autres, la fonction première du conte : « Si l’on s’efforce de se représenter tout ce qui arrivait à l’initié et de le raconter de façon suivie, on obtient justement la composition du conte merveilleux ».

La rencontre de l'ange
Alors que les héros de Capra - Mr Deeds ou Mr Smith - sont respectivement propulsés à New-York ou au sénat, et qu’ils doivent apprendre à y gérer leur nouvelle situation, George est tout prêt à partir, mais c’est dans sa propre ville qu’il va accomplir sa mission en apportant du bien-être à ses concitoyens. Comme dans les contes, il se laisse diriger pas ses « conseillers » (Mary, l’ange), et mener par des signes « magiques » du destin : la mort de son père, la décision du conseil qui lui impose un choix « raisonnable », la perte des 8000 dollars... Loin de suivre un « plan de carrière », il reste un incorrigible « rêveur idéaliste » et refuse comme son père de n'être qu'un simple « homme d’affaires ». À l’image de Pinocchio qui, au lieu de se rendre sagement à l’école, prend la fuite, à l’aveuglette. Tous deux prennent le large en oubliant les sages conseils du père, quitte à partir plus tard à sa recherche ou, pour George, à devenir lui-même un père…

La découverte de la mer et de la tombe de la fée
Pinocchio en attendant ne reconnaît pas sa mère dans la fée et va, sans le vouloir, jusqu’à casser son portrait. C’est pourtant après elle - la mère, ou la mer vers laquelle il porte ses pas - qu’il aspire : « Il y a si longtemps que je meurs d’envie d’avoir une maman comme les autres enfants », soupire-t-il dans le roman de Collodi. George de son côté agit sans avoir vraiment conscience de l’objet de sa quête ; il reste indécis jusqu’à ce que l’ange lui montre en quoi il est utile : l’épisode où Mary, dont il arrache involontairement le peignoir, se dissimule dans le buisson, rappelle ces contes où le héros empêche une femme-cygne de s'envoler en lui dérobant sa robe magique de plumes afin de ll'obliger à l’épouser. Mais ici c’est lui qui n’est pas prêt et qui ne répond pas à l’attente de la jeune femme.

Les épreuves

Tant que l’enfant, surtout l’enfant chétif, n’a pas l’initiation, y compris les leçons d’endurance et de ruse, qualités qui lui seront éminemment nécessaires dans la brousse, il ne pourra se débrouiller dans la vie, encore moins apporter une aide à ses frères.
Pierre Saintyves, Les Contes de Perrault et les récits parallèles

L'affrontement avec Potter
George, comme semble le suggérer son saint patron, est engagé dans la lutte contre le dragon Potter qui terrorise la ville. Le chemin qu'emprunte Pinocchio est tout aussi aventureux, semé d'embûches, dans la mesure où il se garde bien de suivre les conseils de la fée. La morale n'est pas sa préoccupation : il vit de petits larcins, rejette l’idée qu’il faille travailler pour manger et se trouve entraîné dans toute une série de tribulations, en commençant par tomber chez une sorte d’ogre qui veut le faire brûler pour pouvoir manger…

Il s’agit pour eux d’une mise à l’épreuve comparable à celle que subissent les héros de contes et dont, tout innocents ou naïfs soient-ils, ils viennent aisément à bout, à condition de bénéficier d’une aide magique : un cheminement initiatique jalonné de rencontres avec des personnages maléfiques ou bénéfiques (ou alternativement l’un et l’autre) qui tous contribuent à leur apprentissage.

Le Chat et le Renard
Le Chat et le Renard, figures de carnaval que Comencini humanise, cherchent à abuser de Pinocchio ; mais ne faut-il pas y voir des initiateurs chargés d’éprouver le novice, et le déguisement en fantômes évoque la mise en scène d’un rite de passage. On peut déceler la même finalité dans le geste des deux amis qui « complotent » pour ouvrir la piscine sous les pieds de George et Mary lorsqu’ils dansent. Dans leur méchanceté relative, ils incarnent ces « initiateurs à l’aspect redoutable […] que l’on présente aux non-initiés ou aux demi-initiés comme des espèces de croquemitaines » dont parle Saintyves à propos des rites pratiqués dans diverses tribus.

Lucignolo, quant à lui, soumet Pinocchio à la tentation de gagner le merveilleux pays où l’on ne fait rien, de même que Potter fait miroiter à George 20 000 dollars par an. Mais tous deux, qui sont présentés comme des antagonistes, jouent malgré tout un rôle positif dans la progression des héros : c’est Potter qui, en subtilisant les 8000 dollars, amène George à se métamorphoser en une personne qui n'a jamais existé et à prendre conscience de son rôle dans la société, et les épreuves par lesquelles passe Pinocchio, lorsqu’il devient symboliquement chien ou âne, ne cessent de le faire évoluer : « Les incitations au mal nous procurent des occasions d’accroissement de conscience », comme le note Marie-Louise von Franz.

Face à l’adversité, les héros bénéficient aussi de soutiens providentiels. Même s’il ne les écoute pas, la poule, après le grillon, met Pinocchio en garde, tandis que le thon lui permet carrément de résoudre ses problèmes. George, de son côté, suscite la sympathie de tous ceux qu’il a lui-même aidés. A chaque étape, sa générosité naturelle vaut à George les bonnes grâces de tous ceux grâce auxquels il surmonte les épreuves. Entre autre le brave oncle Billy, qui reste fidèle jusqu’à provoquer la crise ultime, celle qui lui apportera le salut..

La bonne fée
Il y a surtout l’ange qui vole (sans ailes…) au secours de George, et la fée qui disparaît et meurt avant de refaire une dernière apparition afin de remettre encore une fois Pinocchio sur le bon chemin, quoique, à à l’image de l’oncle Billy, son rôle ne laisse pas d’être ambigu. D’un abord charmant, elle est aussi une redoutable donneuse de leçons. Figure despotique de la mère morte, elle est indifféremment fée ou sorcière. Ce personnage est d’ailleurs habituellement incarné dans les contes traditionnels par une vieille femme (contrairement à ceux de Perrault ou de Disney) : une Parque qui tient les fils du destin. Initiatrice aussi sévère que bienveillante, elle encourage et châtie ; elle n’hésite pas à reprendre les dons qu’elle a octroyés si l’on ne lui en est pas suffisamment reconnaissant. Ses absences et ses disparitions abandonnent le disciple, le laissant progresser par lui-même et se tirer seul des situations dans lesquelles il s’est fourvoyé.

Sur le chemin, les héros trouvent des refuges providentiels : la maison de la fée isolée sur l’eau lorsque Pinocchio est poursuivi (mais elle le met à l’épreuve : « Je suis morte. »), ou bien la maison « sauvage » investie par Mary dans laquelle, sous la pluie battante, George, à peine marié mis en échec par Potter, se réfugie.

Arrive l’ultime épreuve, l’épreuve qualifiante. La fée définit l’objectif : « Ton papa est sain et sauf. Et il ne dépend que de toi de le faire revenir parmi nous ». Et, chez Capra, de bonnes pièces trébuchantes (la réussite à l’américaine) remplacent le trésor des anciens contes. Les héros ont gagné l’estime d’eux-mêmes, ils sont devenus adultes au terme d’un voyage dans l’autre monde (le pays des merveilles ou Potterville). Il leur faut apparemment toucher le fond avant de retrouver la vie dans toute sa plénitude.

Renaissance

Le type idéal ou essentiel de toute initiation consiste en un simulacre de mise à mort du novice suivie plus ou moins rapidement d’une résurrection.
Pierre Saintyves, Les Contes de Perrault et les récits parallèles
Je veux vivre à nouveau.
George dans La Vie est belle

Vladimir Propp rappelle que, dans les traditions rituelles, l’initié - auquel il assimile le héros de contes - « était censé être avalé, digéré, et recraché homme nouveau ». Le motif de ce nécessaire engloutissement joue un rôle évident dans les deux films qui nous occupent. Dès le début de La Vie est belle, George plonge pour sauver son petit frère, et le plongeon festif, mais forcé, dans la piscine, pendant le bal, signe sa liaison avec Mary.

Au bord du suicide
En fait, c’est surtout le sentiment de sa faillite qui le submerge, et la détresse qui le frappe l’incite à la noyer dans l’alcool avant de le précipiter dans la nuit enneigée et de se faire proprement avaler par le dragon aquatique. Pinocchio, lui, parvient à la mer en découvrant la tombe de celle qui pourrait être une mère pour lui. Et c’est en son sein, dans la mer, qu’il est précipité, voué à la mort, avant de se retrouver bel et bien dans le ventre de la baleine.

Mais ce n’est là qu’un passage, il n’est pas question de s’en tenir à la résignation de Gepetto : « Maintenant que tu es ici, qu’est-ce que je pourrais désirer d’autre au monde. » Il leur faut repartir à zéro : supposer que George n’est jamais né, et pour Pinocchio retourner à son état de pantin, de bout de bois inerte, « tout nu ». Il leur faut ensuite revenir à la réalité : les séquences féeriques du film, quoique nécessaires, privent Pinocchio de sa spontanéité naturelle, de sa liberté d’action. Il lui faut oublier la fée et abandonner derrière lui le pantin : « Je suis un petit garçon. La marionnette est morte. » L’ange de son côté se volatilise littéralement aux mains du policier avant d’aller rejoindre pour toujours le ciel où il aura enfin des ailes.

La sortie de la baleine
Une dernière tâche reste à accomplir, avec l’aide d’un passeur, qu’il s’agisse de l’ange que George implore ou du thon, animal compatissant familier des contes : s’arracher au monstre, revenir à l’existence, courir et s’échapper, s’extraire du ventre en passant non sans peine par le méat du gosier… Les contes par nature se terminent bien. George au terme est récompensé pour toutes ses bonnes actions ; et c’est Pinocchio qui désormais redonne vie à son père.

Très logiquement les deux films ont une fin heureuse. À la sortie de l’amniotique tiédeur de la baleine ou de l’engourdissement hivernal, le jour se lève ; avec la promesse de renouveau qu’annonce Noël, l’année va une nouvelle fois commencer, le printemps revenir. Pinocchio et son papounet trouveront de quoi manger là-bas, dans la maison, et La Vie est belle se conclut par un happy end hollywoodien : Capra, qui croyait fermement au rêve américain, disait que celui-ci « n’est pas l’argent, mais le bonheur et la liberté » ; il ne peut pourtant pas s’empêcher de conclure - dans le bonheur certes, et dans la joie familiale restaurée - en portant un toast « À mon grand frère George. L’homme le plus riche de la ville ! ».

 

chemins de fortune

Le plaisir de conter est le père de l'erreur.
Malebranche

Helena Bonham Carter dans Big Fish de Tim Burton
Il fut un temps où démons, esprits malins, créatures merveilleuses et sorcières avaient mauvaise presse. On s’évertuait à chasser et à brûler ces dernières, et à bannir ceux-là. On redoutait les effets pernicieux de la folle du logis, et les fables et fantaisies chères à l’âme populaire étaient réprouvées, tout simplement diabolisées. Cet ostracisme connut un paroxysme au début du XVIIe siècle, le siècle de la Raison, et persista encore pendant plus d’un siècle, au siècle des Lumières. Or c’est à ce moment-là, vers 1690, qu’apparaît dans la belle société un nouveau genre littéraire : les contes de fées qui réveillaient les anciennes croyances et redonnaient vie à une foule d’êtres extraordinaires. La pensée magique, perpétuée par les veillées paysannes et les contes de nourrices, resurgissaient sous de nouveaux atours. Les enfants étaient invités à se placer sous la protection de providentielles fées, non plus vieilles et contrefaites comme autrefois (la huitième fée de La Belle au bois dormant appartient encore à cette génération), mais suprêmement belles et bienveillantes.

Les bonnes fées

Écoute ce que je vais te dire ! Tu as bon cœur et c’est pourquoi je te ferai un don : continue de suivre ton chemin et …
Les frères Grimm, L’âne salade

Delphine Seyrig dans Peau d'Ane de Jacques Demy
Du temps où les souhaits s’accomplissaient encore, comme on dit dans les contes, la fortune souriait à ceux qui savaient faire preuve d’innocence et de pureté de cœur. Mais il n’était pas dit que, confrontés à des situations apparemment inextricables, ils y arrivent seuls. Ils devaient disposer de quelques moyens surnaturels et de l’aide d’un personnage bienveillant. À condition bien sûr de mériter cette aide, par exemple en répondant aimablement à la fée/sorcière (ou à tout autre être aux pouvoirs surnaturels) rencontrée en chemin et en s’attirant ses bonnes grâces en lui rendant quelque menu service. En veillant surtout à ne pas la contrarier. Elle le dote dès lors des indispensables moyens magiques, lui indique le bon chemin et lui fournit tous les bons conseils pour parvenir au but et voir ses vœux réalisés. Ce qui ne l’empêche pas de reprendre ses dons à ceux qui ne lui accordent pas une entière confiance : les exemples ne manquent pas d’un morceau de charbon ou d’une branche qui se transforment en pierre précieuse ou en rameau d’or pour celui qui les considèrent comme de vraies faveurs, tandis que des trésors redeviennent cailloux pour ceux qui se montrent trop avides.

Helena Bonham Carter dans Cendrillon de Kenneth Branagh
Les fées, comme les anciennes divinités topiques, apportent l’abondance  ; sa marraine permet à Cendrillon d’aller au bal ; Mélusine prodigue, jusqu’à ce qu’il trahisse son secret, richesse et notoriété à Raymondin ; et, telles les anciennes Parques, elles veillent au destin de chacun en présidant aux naissances et en dispensant qualités et défauts, bonne ou mauvaise fortune. C’est ainsi qu’elles favorisent les héros entreprenants et veillent sur les héroïnes soumises qui se laissent guider dans l’attente du prince charmant. Jusqu’à ce qu’ils se marient et aient beaucoup d’enfants. La morale des contes traditionnels, en effet, reste conservatrice : tout autant qu’il faut respecter les fées et les génies topiques, ainsi que tous les représentants bienfaiteurs de l’ordre naturel (animaux, végétaux, minéraux), et qu’il ne faut pas hésiter à éradiquer les nuisibles, il importe de confirmer l’ordre social et de restaurer les liens familiaux.

Un parcours de vie

Ils s’égarèrent et errèrent jusqu’à ce qu’il fît nuit et qu’ils ne pussent plus distinguer un chemin d’un sentier.
Ludwig Bechstein, Le minuscule homoncule, in Le Livre des contes

L'autre Rive de George Vashvili
La rencontre avec la fée n’est qu’un point de départ, ou une intervention passagère. C’est au héros qu’il revient de valoriser son aide, en surmontant toute une série d’épreuves : une quête aux méandres souvent obscurs, même si le but en est assuré. Aussi naïf soit-il au départ, il en vient à s'initier, selon les mots de Saintyves, à « l’art d’utiliser [son] intelligence pour échapper aux embûches de la vie », fût-ce par la ruse ou des moyens malhonnêtes : « Le héros du conte merveilleux s’aventure seul et loin des siens, sur les franges périlleuses d’une expérience exceptionnelle capable de lui apporter, avec une "provision personnelle de puissance", son insertion dans le monde - et ainsi, à la "tentative absurde et désespérée" pour sortir de l’ordre social, correspond dans l’univers de la fiction une merveilleuse solution. ». On pourrait dire que cette façon de transcender sa condition est un point commun pour l'ensemble des héros de notre sycle "Contes d'antan et de tous temps"... Tous accèdent à un degré supérieur d'intégration, que ce soit par la fortune ou la sagesse, la maturité, l'amour partagé ou la connaissance de soi.

Il ne faut pas oublier la dimension rituelle des contes qui semblent perpétuer d’antiques pratiques populaires : l'initié doit s'arracher à son environnement familier, mourir à ce qu'il a été pour renaître à un nouveau statut, et ainsi trouver sa juste place dans la société. Un passage que symbolisent tout naturellement les rythmes naturels, le jour succédant à la nuit, ou l'éclat du printemps triomphant de la noirceur de l'hiver : les contes ont souvent été lus à la lumière des rites saisonniers. Max Müller, dans son Essai sur la mythologie comparée, notait déjà que « les innombrables histoires de princesses ou de jeunes filles merveilleusement belles qui, après avoir été enfermées dans de sombres cachots, sont invariablement délivrées par un jeune et brillant héros, peuvent toutes être ramenées à des traditions mythologiques relatives au printemps affranchi des chaînes de l’hiver  ; au soleil qu’un pouvoir libérateur affranchit des ombres de la nuit ».

Gene Kelly et Cyd Charisse dans Brigadoon de Vincente Minnelli
La Belle au bois finit par se réveiller de sa léthargie hivernale en donnant naissance à deux enfants : Jour et Aurore, tandis que la nouvelle saison voit Cendrillon, rattrapée par le prince, le « jeune soleil », abandonner le recoin obscur de l'âtre. Dame Holle, chez Grimm, demande à la fillette de " secouer soigneusement l'édredon pour en faire voler les plumes, parce qu'alors, il neige sur le monde ". Elle personnifie de toute évidence l'hiver ; et lorsque l'enfant revient, toute couverte d'or, à la maison, son retour, célébré par le coq, signe la promesse de jours meilleurs : le retour du soleil, l'annonce du nouvel an…

Livres

. Pierre SAINTYVES, Les Contes de Perrault et les récits parallèles, Robert Laffont, 1987
. Vladimir PROPP, Les Racines historiques du conte merveilleux, Gallimard, 1983
. Marie-Louise VON FRANZ, L’Interprétation des contes de fées, Albin Michel, 1995
. Pierre PÉJU, La petite Fille dans la forêt des contes, Robert Laffont, 1997
. Jean-Paul SERMAIN, Le Conte de fées du classicisme aux Lumières, Editions Desjonquères, 2007

flms

. George VASHVILI, L’autre Rive, 2010 .
. Steven SPIELBERG, A.I. Intelligence artificielle, 2001
. Frank CAPRA, L’extravagant Mr Deeds, 1936
. Frank CAPRA, Mr Smith au sénat, 1940
. Frank CAPRA, L’Homme de la rue, 1941
. Ronald NEAME, Scrooge, 1970
. Christoph HOCHHÄUSLER, Le Bois lacté, 2004
. Volker SCHLÖNDORFF, Le Tambour, 1979
. Jean-Pierre JEUNET, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, 2001

Programme 2015/16

la vie est belle

USA - 1949 - 129 minutes - noir et blanc - VO

Réalisation : Frank Capra
Scénario : Frances Goodrich, Albert Hackett, Frank Capra et Jo Swerling, d'après une nouvelle de Philip Van Doren Stern
Image : Joseph F. Biroc, Joseph Walker
Musique : Dimitri Tiomkin
Interprètes : James Stewart (George Bailey), Donna Reed (Mary Hatch), Henry Travers (Clarence), Lionel Barrymore (Potter), Thomas Mitchell (Oncle Billy), Ward Bond (l'officier de police, Gloria Grahame (Violet Bick)

SUJET
Une petite ville américaine, la veille de Noël. Un homme, George Bailey, est en détresse, et tout le monde prie pour lui. C'est alors que le Ciel délègue sur terre Clarence, un ange, sans ailes, pour l'empêcher de mettre fin à ses jours. Mais il faut déjà comprendre comment George en est arrivé à cette extrémité :

Il a dû, après une enfance généreuse, reprendre l'établissement bancaire de son père qui aide les plus déshérités à se loger. Mais il est en conflit avec l'homme le plus riche de la ville, un homme d'affaires sans scrupules. Celui-ci est sur le point de ruiner ses efforts, ce qui fait que George se trouve acculé au suicide. C'est alors que Clarence intervient pour le sortir de cette mauvaise passe…

les aventures de pinocchio

Italie - 1972  - 135 minutes - couleurs - VF

Réalisation : Luigi Comencini
Scénario : Luigi Comencini, d'après Carlo Collodi
Image : Armando Nannuzzi
Musique : Fiorenzo Carpi
Interprètes : Andrea Balestri (Pinocchio), Nino Manfredi (Geppetto), Gina Lollobrigida (la fée Turquoise), Franco Franchi (le chat), Ciccio Ingrassia (le Renard), Mario Adorf (le directeur du cirque), Vittorio De Sica (le juge)

SUJET
Gepetto est un pauvre menuisier vivant seul, qui n'a jamais eu d'enfant. Un soir qu'il fait bien froid, il fabrique un pantin articulé qu'il nomme Pinocchio. La nuit venue, la bonne fée, sensible à la détresse du vieil homme, donne vie à la marionnette en lui recommandant d'être bien sage et d'aller à l'école. Sinon le petit garçon qu'il est désormais redeviendra pantin.

Mais Pinocchio ne peut tenir en place. Il quitte Gepetto et ne cesse d'alterner bonnes et mauvaises actions. C'est ainsi que, régulièrement secouru par la fée, il entreprend un long apprentissage…