enchantement du monde
De la parole vive à l'enchantement du monde par Michel Valière, ethnologue, spécialiste des contes et récits de vie.
Verre de l'amitié et présentation des livres de M. Valière.
Espace Welcome - 4, place Maurice Sailland, Angers.
Participation aux frais : 2,10 €
Big Fish (125 min) de Tim Burton avec présentation et débat.
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7 €, réduit 5,80 €, carnets 4,90 € ou 4,30 €
Groupes, sur réservation auprès des 400 Coups (gratuité pour les accompagnateurs) :
4,30 € le lundi soir - 3,60 € le matin (du mercredi 25 avril au mardi 1er mai).
Commentaire
A cet instant, mon père est devenu un être étrange, extravagant, à la fois jeune et vieux, mourant et nouveau-né.
Mon père est devenu un mythe.
Daniel Wallace, Big Fish
Réalisé à partir d'un scénario préexistant, et à l'initiative du producteur, Big Fish vient à point s’insérer dans la biographie de Tim Burton, qui en fait une œuvre très personnelle : il parle de la transmission de génération à géné;ration au moment même où le réalisateur vient de perdre son père et où lui-même devient père. Un film qui lui permet aussi de parler de son thème favori : l'insolite émanant du quotidien.
On lui a reproché son conformisme et ses bons sentiments : au-delà de la puissance du rêve, il s'attache à peindre l'Alabama au quotidien, la vie de famille fondée sur la fidélité, la réussite sociale, "une vraie maison avec une clôture blanche" ..., un monde paisible auquel semble attaché l'auteur d'Edward aux mains d'argent.
Mais Tim Burton sait insuffler dans ce tableau tranquille une sérieuse dose d'étrange et de poésie qui donne toute sa dimension à ce film : celui-ci pose avec gravité et humour la question de la relativité entre réalité et fiction, de la place que tient l'imaginaire dans la construction de l'homme :
Face aux tenants du prosaïsme, j’ai toujours défendu l’idée que Frankenstein, par exemple, me dit plus de choses sur mon environnement immédiat, sur mes rapports avec ma famille, mes voisins, ma culture, que les actualités télévisées. La ligne de séparation entre la réalité et l’imaginaire est constamment floue et poreuse. L’élection d’Arnold Schwarzenegger comme gouverneur de Californie, est-ce la réalité ou du cinéma ? Pour moi, l’imaginaire est plus vrai.
Tim Burton
Thèmes mytho-légendaires
Beaucoup est vérité, beaucoup est mensonge,
cela s'est produit tout en n'ayant pas eu lieu,
en ces temps-là on avait faim tout en étant rassasié,
donc il était une fois ...
Entrée en matière d'un conte kirghiz, citée par M. Valière
Tim Burton se laisse guider par sa fantaisie. Comme son héros, mythomane et poète, il invente pour le plaisir, et pour notre plaisir.
Pourtant, ou plutôt inévitablement, ce sont des thèmes universels, des thèmes familiers qui émergent au sein de son univers, de la même façon qu'ils irriguent les mythes, contes et légendes de l'humanité, ces affabulations qui rendent la vie plus vraie. Relevons-en quelques-uns, certains évidents, d'autres plus subtils :
Edward Bloom est un véritable héros de roman ou de conte, destiné dès sa "miraculeuse" naissance à "de grandes choses", à des exploits extraordinaires : plus fort et courageux que tout le monde, meilleur vendeur de son Etat, il est capable de relever tous les défis.
Lorsque les femmes recueillirent le nouveau-né dans leurs bras, elles furent très effrayées, parce qu'il était tout velu et plus poilu que tous les enfants qu'elles avaient vus. Elles le portèrent à la mère qui déclara en se signant : "Cet enfant me fait peur."
Histoire de Merlin
Le gros poisson, qui donne son nom au film, est un animal légendaire, cousin de l'antique Léviathan ou du monstre du Loch Ness, et il est certainement apparenté au tout petit Roi des Poissons des contes.
Un jour, en pêchant, il prend le roi des poissons. Le roi des poissons lui dit : "Pourquoi me prends-tu ? Pourquoi vas-tu me faire du mal ? Il faut me lâcher, tu sais, sinon ça te portera malheur !"
Conte du Berry, recueilli par M. Valière
Comme bien d'autres poissons, il avale l'anneau précieux et le rend au moment opportun (il en fut de même pour les clefs de la cathédrale d'Angers que saint Maurille avaient jetées à la mer).
L'homme sauvage - géant terrifiant et quasiment anthropophage - gîte dans une grotte au bord de l'eau et réclame son tribut de chair fraîche.
Je vis qu'il avait la tête plus grosse que celle d'un cheval de somme ou de n'importe quelle autre bête ; les cheveux en désordre, un front pelé qui mesurait bien deux empans en largeur ; de grandes oreilles velues ...
Chrétien de Troyes, Le Chevalier au lion
Edward l'affronte seul, de même que Thésée, Tristan ou saint Georges font face au Minotaure, au Morholt ou au dragon.
Et le saint dit à la jeune fille : "Mon enfant, ne crains rien, et lance ta ceinture au cou du dragon !"
La jeune fille fit ainsi, et le dragon, se redressant, se mit à la suivre comme un petit chien qu'on mènerait en laisse.
La Légende dorée
Ce monstre, une fois amadoué (christianisé aurait-on dit autrefois), met sa force au service du bien : tel saint Christophe, il devient le type du "bon géant".
Christophe était un Cananéen d'énorme stature, qui avait douze coudées de hauteur et un visage effrayant (...) Puis il se rendit sur la rive du fleuve, s'y construisit une cabane, et, se servant d'un tronc d'arbre en guise de bâton pour mieux marcher dans l'eau, il transportait d'une rive à l'autre tous ceux qui avaient à traverser le fleuve.
La Légende dorée
La sorcière, comme les méchantes fées des contes, a le "mauvais œil", et elle assigne à chacun son destin.
Elle dit, en branlant la tête avec plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d'un fuseau et qu'elle en mourrait.
Ch. Perrault, La Belle au bois dormant
Le pays paradisiaque est niché au plus profond de la forêt ; on ne l’atteint qu’en quittant le chemin, au terme d’une série d’épreuves, et on n'en revient (théoriquement) pas : c'est le terme du voyage, où chacun est attendu mais que seul le héros peut visiter avant l'heure assignée.
Je tournai mon chemin à droite parmi une forêt épaisse. Il y avait maintes voies félonesses, pleines de ronces et d'épines ...
Chrétien de Troyes, Le Chevalier au lion
On fait même la rencontre du loup-garou.
Le coup de foudre et la quête de la femme merveilleuse, de l'unique prédestinée, rappelle celle de bien des héroïnes, d'Hélène à Guenièvre, et de Cendrillon à Nadja.
- Pour vous complaire, seigneurs, je prendrai femme, si toutefois vous voulez quérir celle que j'ai choisie.
- Certes, nous le voulons, beau seigneur ; qui donc est celle que vous avez choisie ?
- J'ai choisi celle à qui fut ce cheveu d'or, et sachez que je n'en veux point d'autre ...
Le Roman de Tristan et Iseut
Pour la gagner, le héros doit subir toute une série d'épreuves et même d'humiliations.
Lancelot se lance contre un chevalier de toute la vitesse de son cheval, et manque son coup.
Ensuite jusqu’au soir il fit au pis qu’il put, parce que c’est cela que voulait la reine.
Et son adversaire n’a pas failli, lui, mais le frappa fortement de toute la pesée de sa lance.
Chrétien de Troyes, Le Chevalier à la charrette
Edward Bloom entretient une évidente affinité avec l'eau ; c’est un homme-poisson, de la race de ces pauvres sirènes exilées sur notre terre.
La fille des eaux, associée au serpent, est sœur de Mélusine, et pourrait bien être de ces vouivres à la fois séduisantes et mortelles.
Derrière la vipère apparut une fille jeune,
d'un corps robuste, d'une démarche fière ...
Marcel Aymé, La Vouivre
A moins que ...
Peu importe ; l'histoire change constamment. Comme toutes les histoires. Puisque, de toute façon, aucune n'est vraie, les souvenirs des gens de la ville prennent une teinte particulière ; le matin, leur voix est sonore quand, après s'être rappelé pendant la nuit quelque chose qui ne s'est jamais produit, ils obtiennent une histoire qui vaut la peine d'être partagée, une déformation supplémentaire, un mensonge qui grossit chaque jour.
Daniel Wallace, Big Fish
Autant pour ce qu'a vécu le père. Mais c'est aussi bien l’histoire du fils qui nous est contée là : William devient le héros d’un véritable conte initiatique ; il apprend à ne plus être raisonnable, de même que son père avait abandonné ses chaussures à l'entrée de Spectre, et comme dans les bons contes c'est la femme qui se fait médiatrice, qui favorise le passage.
- Presque tout est inventé. (déplore William)
- Mais c'est romantique ! (préfère Joséphine)
Son enquête devient quête, quête d'une certaine vérité, qui en fin de compte ne fait qu'un avec l'imaginaire ; quête du sens qui sous-tend une histoire de vie. A tel point qu'il finit par s'approprier les délires paternels : c’est lui qui, au terme, va relâcher dans les eaux le gros poisson jadis pêché par son père, lui redonner vie.
Mondes et merveilles
L’imagination est la faculté de déformer les images fournies par la perception (…) Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination (…) Imaginer c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle.
Gaston Bachelard, L’Air et les songes.
L'enchantement du monde, ou comment les contes rendent la vie plus belle, ou bien plus cruelle, en tout cas plus intense ...
Ce sont les mythes et les légendes qui longtemps ont permis de comprendre le monde, de déchiffrer les paysages, d'interpréter les mouvements de la vie, d'insuffler une âme à tout ce qui nous entoure.
On les regarde aujourd'hui avec défiance ; la rationalité voudrait bien prendre le pouvoir : tout cela ne serait-il que mensonges et superstitions ? Mais Oedipe est-il mort ? Posez la question aux psychanalystes. Les héros ont-ils déserté les stades ? Les médias ont-ils cessé de raconter des contes de fées ou d'horribles histoires d'ogres ? Ne scrute-t-on pas encore le ciel en espérant (ou en redoutant) l'apparition d'êtres venus de l'au-delà ?
On parle aujourd'hui de ré-enchantement du monde, et les scientifiques eux-mêmes revendiquent le pouvoir de l'imagination.
L’imagination est le vrai terrain de germination scientifique.
Einstein
Les artistes et les poètes à plus forte raison font appel à cette indispensable faculté.
L’imagination n’est pas un état,
c’est l’existence humaine elle-même.
William Blake
Et les romanciers lui laissent volontiers la bride sur le cou quand, de Don Quichotte à Madame Bovary, ils ne l'opposent pas à la triste réalité.
Le cinéma, lui, reste autant porteur de rêves que témoin de la réalité ; tel est le fondement même de l'action de Cinélégende ...
Dans la vie même, dans notre propre vie, il est souvent difficile de faire la part de ce qui est vrai et de ce qui est inventé. Comme le constate William Bloom dans le film : "Quand on raconte la vie de mon père, on ne peut séparer la réalité de la fiction, l'homme du mythe."
Mais la question posée par Bachelard reste ouverte : jusqu’où les images définies par les mythes, puis par les dogmes, avant d'être fixées par la caméra, relèvent-elles encore de l’imagination, ou deviennent-elles des images constituées, de nouveaux objets ?
L'enchantement de l'anjou
Notre monde, et du même coup notre province, paraît bien souvent désenchanté. Fut-il jamais vraiment enchanté ? Les hommes purent-ils en un certain temps oublier les dures réalités quotidiennes ? L'Anjou, comme bien d'autres provinces, a pourtant toujours su préserver une part de féerie, des lieux de rêve :
Les nombreux châteaux de l'Anjou ont leur histoire et leur légende : le drame de la dame de Montsoreau, Gilles de Rais, dit Barbe-Bleue, à Champtocé, le château hanté de Bauné, ou le cadre enchanteur du Plessis-Bouré que Jacques Demy a choisi pour nous conter Peau d'Ane.
D'illustres personnages angevins sont devenus légendaires, qu'il s'agisse de Dumnacus qui défia les Romains aux Ponts-de-Cé, de Foulque Nerra, le "faucon noir", du duc de Clarence, vaincu au Vieil-Baugé et dont la mule fait des bonds de 10 kilomètres , ou même d'Hervé Bazin qui imagina sa propre vie autant qu'il la consigna.
Les souterrains qui irriguent le Saumurois recèlent des trésors enfouis et des secrets qui flattent l'imagination, et la Caverne Sculptée de Dénézé-sous-Doué a longuement interpellé les chercheurs.
Les paysages abritent des êtres fabuleux : des dragons qui ont sévi à Saumur ou à St-Florent-le-Vieil, des lutins qui, la nuit, sous les dolmens, affûtent les socs de charrues, Gargantua qui "chie" la butte de Bouzillé et qui fauche son champ à Nidevelle, ou de terribles géants comme Maury, qui interceptait les bateaux sur la Maine et qui est désormais retenu sous le rocher de Pruniers.L’intervenant : Michel Valiere
Ancien enseignant en ethnologie (entre autres : intervenant temporaire à l'Université Catholique de l'Ouest d'Angers et professeur associé à l'université de Poitiers), Michel Valière a mis ses compétences d'ethnologue au service de la DDJS de la Vienne, à la Région et à la DRAC de Poitou-Charentes, ou au Musée National des Arts et Traditions Populaires de Paris.
Il s'est particulièrement intéressé aux traditions du Poitou, et il est l'auteur de nombreux ouvrages. On lui doit notamment :
- Amours paysannes : récit d'une vie de galerne, Paris, Stock, 1980, (rééd. La Crèche, Geste édition, 1996 ; 2004, coll. Poche)
- Le Conte populaire : approche socio-anthropo-logique, Paris, Armand Colin, 2006
- Ethnographie de la France : histoire et enjeux contemporains des approches du patrimoine ethnologique, Paris, Armand Colin, 2002
- Contes des grands-mères des Charentes et du Poitou, La Crèche, Geste éditions, 2006
- Paroles d'Or et d'Argent : contes populaires recueillis... en Charente (en collab. avec Nicole Pintureau), La Couronne, CDDP, 1994
- Récits et contes populaires du Berry, (en collab. avec Geneviève Debiais), Paris, Gallimard, 1980
- Récits et contes populaires du Poitou, (en collab. avec Catherine Robert), Paris, Gallimard, 1979
La conférence
Tout conteur met en acte ses paroles, et fait corps avec sa narration sans autre apprêt (décor, etc.). Chaque auditeur peut ainsi déployer son imaginaire avec une grande liberté, dévorer du regard celui ou celle par qui son plaisir arrive conformément ou non à son propre désir. Dans les contes merveilleux qui enchantent les générations successives, les corps relèvent de la magie de la vie, depuis leur naissance merveilleuse : ils sont petits mais agiles, grands et forts, visibles ou invisibles, participent à des événements et des actions démesurés. Leur force, ils la tirent d¹une semence virile surnaturelle, ou d¹un allaitement hors norme. Géants ou minuscules, ces êtres pour vivre dans un monde plus "réel", apaisé, doivent passer par une seconde naissance, un "rite de passage". Pas sages les contes ? Allons donc, on les utilise depuis la nuit des temps pour émerveiller petits et grands...
bibliographie
Les enchanteurs et les enchantements sont légion dans la littérature et le cinéma, et l'on pourrait y rattacher toutes les formes de récits dans la mesure où ils cherchent inévitablement à séduire le lecteur. Inutile donc de répertorier contes ou romans.
On peut citer, parmi les essais qui parlent des pouvoirs de l'imagination, les livres de Michel Maffesoli, Gilbert Durand ou Gaston Bachelard.
Et aussi : Antoine de Baecque, Tim Burton, Editions Cahiers du Cinéma, 2006