mémoire résurgente
mardi 20 février, 20h15 : Film
Frantz (France, Allemagne, 117 min.) de
François Ozon, avec présentation et débat en présence de Louis
Mathieu
Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers
Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €,
carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 € - tarif
groupe, les matins également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 3,80
€
jeudi 22 février, 18h30 : Conférence
Les fantômes de la mémoire, par Geoffrey Ratouis, docteur en histoire, spécialisé en histoire culturelle
Si un présent sans passé est un futur sans avenir, l'oubli, volontaire ou involontaire, conscient ou inconscient, n'empêche guère les fantômes de la mémoire de hanter nos jours et nos nuits. Regrets et remords comme autant de visages oubliés trouvent un malin plaisir à se rappeler à notre bon souvenir, comme pour mieux souligner nos fautes et nos erreurs. Peut-on échapper à notre passé jusqu'à l'exorciser ?
Institut
Municipal, place Saint-Eloi, Angers
Gratuit
vendredi 23 février, 19h : Soirée-contes
LA FARANDOLE DES OSSELETS, histoires à rire et à trembler, avec Sylvie de Berg
Le Comptoir des livres, 15 rue Saint-Maurille, Angers
dès 12 ans
10 € (réduit : 6 €), plus consommations
réservations : 02 41 86 70 80
vendredi 23 février, 20h à 22h : Atelier d'écriture
Ecrire et réécrire l'Histoire, avec Véronique Vary de
l'association Passez-moi l'expression !
Roman historique, science-fiction, uchronie : les genres littéraires liés à l'Histoire sont légion. Mais, pas besoin ici d'être historien pour se prendre au jeu ! Ecriture à partir de photos et de documents d'époque.
La Marge, 7 rue de Frémur, Angers
Ouvert à tous : novices ou plus expérimentés
40 euros le cycle / 12 euros l'atelier
Renseignements et réservations : 02 41 86 70 80 - varyveronique@hotmail.com
mardi 27 février, 13h15 : Film
Le Jour des corneilles (France, 96 min.) de Jean-Christophe Dessaint,
avec présentation et débat en présence de Gildas Jaffrennou, enseignant cinéma
Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers
à partir de 8 ans
Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €,
carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 € - tarif
groupe, les matins également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 3,80
€
Commentaires
Textes de Philippe Parrain
La mémoire permet de rappeler à soi ce qui a été, de revivre, en esprit, les faits qui vous ont façonné, de retrouver les êtres qui vous ont accompagné, d’évoquer les bons et les mauvais moments. Mais il est aussi certains jours où ce sont les vestiges du passé qui, d’eux-mêmes, resurgissent sans crier gare et viennent se mêler à votre vie quotidienne. Les traditions populaires nous parlent de ces périodes de l’année – Halloween, Noël ou Carnaval - où les morts franchissent les frontières de l’au-delà et reviennent visiter leurs proches.
Cette confrontation avec ce qui n’est plus est inévitablement troublante. Elle peut s’avérer traumatisante, placée sous le signe de la terrible déesse Hécate qui attise cauchemars et terreurs nocturnes. Les morts-vivants et autres vampires se lèvent de leurs tombes, les maisons hantées perpétuent le souvenir de quelque crime impuni... On doit donc veiller à ce que les morts soient bien enterrés, avec une lourde pierre tombale par-dessus, afin de les empêcher de revenir, car un décès est souvent porteur d’inquiétudes, lourd de doléances et de conflits latents irrésolus.
Le retour des défunts peut aussi se manifester de façon plus intime et convoquer des figures tutélaires, plus bienveillantes. On peut le solliciter en commémorant ses chers disparus. Les souvenirs alors peuvent doucement éclore et reprendre vie afin de nous procurer réconfort et bons conseils.
Frantz
Ozon a hésité à adapter le drame L’Homme que j’ai tué, conçu dans l’entre-deux-guerres par Maurice Rostand, que Lubitsch avait déjà porté à l’écran en 1932. Il innove cependant en inversant le point de vue : au lieu de suivre le soldat français venu rechercher en Allemagne la paix de l’âme, il s’attache au deuil de la jeune femme, ce qui permet de ne découvrir que plus tard la vérité de la situation et d’entretenir, à défaut d’un véritable suspense, une perpétuelle ambiguïté. Il prolonge également le récit au-delà du retour d’Adrien : cela lui permet, tout en transposant, par un effet de miroir, l’action en France, d’enrichir le personnage d’Anna.
Le réalisateur est connu pour la diversité des genres et des sujets qu’il aborde. Il nous propose ici un film d’époque mis en valeur par un somptueux noir et blanc, émaillé de bouffées de couleurs, qui entre parfaitement en résonance avec le thème et avec la période, même s’il paraît que ce choix ait été imposé pour des raisons économiques. On ne peut pas ne pas penser aux images du Ruban blanc, ou encore à la délicatesse des chroniques de Heimat.
On retrouve, à côté d’un délicat portrait de femme, le thème du deuil, de l’absence qui irrigue nombre de films d’Ozon (Sous le sable, Le Temps qui reste ou Le Refuge). Il y est aussi question, comme dans L’Amant double, d’un alter ego dissimulé. Mais c’est avant tout l’affirmation d’un pacifisme précaire mais nécessaire qui se fait jour à travers l’évolution des sentiments.
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Le Jour des corneilles
Ce premier long métrage de J.-C. Dessaint n’est pas sans rappeler le sujet de L'Enfant sauvage : la mise en contact avec la société humaine d’un enfant qui a grandi au seul contact de la nature. Il s’agit de l’adaptation d’un roman, un récit introspectif initialement destiné aux adultes et écrit dans une langue maniérée qui célèbre le pouvoir des mots en convoquant le vieux français, l’argot et toutes sortes de néologismes : « Rien n’y manquait : depuis l’eau de pluie amassée dans la barrique pour nos bouillades et mes plongements, jusqu’à l’âtre pour la rissole du cuissot et l’échauffage de nos membres aux rudes temps des frimasseries… »
Cette histoire d’une quête d’amour au sein d’un environnement brutal a été convertie à l’intention des enfants en un film d’animation "à l’ancienne". Si les personnages font l’objet d’un traitement sommaire, souvent grotesque, le décor, somptueux, propose de subtils jeux de lumières et évoque les grands peintres paysagers. La bande son a fait appel à des voix d’acteurs bien connus. À noter qu’il s’agit là de la dernière contribution au cinéma de Claude Chabrol, peu de temps avant sa mort.
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thèmes mytho-légendaires des films
Certains souvenirs ont du mal à s’effacer. Que ce soit sournoisement ou brutalement, ils reviennent nous hanter, jour et nuit, et nous plongent dans la nostalgie : une mélancolie dont on se délecte et qui représente, selon Victor Hugo, « le bonheur d’être triste ». Alors les êtres disparus prennent corps et revivent pour nous, les moments et les choses du passé resurgissent et s’immiscent dans notre réalité quotidienne. C’est ainsi qu’Anna retrouve en Adrien la présence de Frantz, et que le fils Courge se rapproche du fantôme de sa mère lorsqu’il ressent le besoin d’un peu de tendresse.un passé incertain
Le cinéma est en soi un mensonge, auquel le spectateur veut croire. Je pense que nous avons besoin de mensonge, de fiction dans nos vies.
François Ozon
Les films, avec leurs flashes-back (réels ou imaginaires), ravivent la mémoire et sont capables d’apporter un réconfort aux personnages dans la peine, à moins qu’ils ne les tourmentent ou les agressent. Ils exhument, sur pellicule ou numérisées, des images, éventuellement reconstituées, mais toujours enjolivées par rapport à ce qui a été. Le temps de notre enfance et de notre jeunesse remonte à la surface ; les jours anciens ou immémoriaux refleurissent, même si l’on ne les a pas personnellement vécus. Le cinéma déploie une monumentale mine de souvenirs qui peuvent être convoqués à chaque projection. Le train continue d’entrer en gare de La Ciotat, et l’arroseur chaque fois se fait arroser, tandis que Greta Garbo ou Jean Gabin ne cessent de réapparaître et d’évoluer sur l’espace disponible des écrans. Mais ce ne sont jamais là que des histoires, des ombres émanant du passé, des figures maquillées, travesties, un monde d’illusions.
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Adrien et Anna |
Quant au père Courge, hanté par sa douleur, il cache à son fils la vérité sur la mort de sa mère, et l’induit en erreur lorsqu’il lui parle du monde extérieur, tandis que les villageois se laissent berner par l’histoire concoctée par les Ronce. Seuls les esprits animaux, ces étranges esprits de la forêt qui se glissent dans la narration, ne mentent pas ; mais ils ne disent rien et se contentent d’observer.
Des frontières qui s’effacent
Je ne vais pas disparaître si j’y vais ?
Le fils Courge, dans Le Jour des corneilles
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Le fils Courge traine son père hors de la forêt |
Le passage est toujours périlleux, mais plein de promesses. On se rappelle ces chevaliers dans les romans médiévaux qui, tel Calogrenant au début du Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, s’engageaient sur les chemins de l’aventure, en terre de féerie : « Je tournai mon chemin à droite, parmi une forêt épaisse. Il y avait maintes voies félonesses, pleines de ronces et d’épines... » Anna, elle, se laisse entraîner, sur les pas de Verlaine, en pays de nostalgie :
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Dans les deux cas les domaines humanisés s’opposent aux contrées hostiles, l’hospitalité au rejet, sans qu’il soit toujours facile de trancher de quel côté on se trouve. Mais ils suggèrent en même temps le souvenir d’une unité disparue, ou fantasmée, que semblent vouloir suggérer l’évocation, trompeuse, de l’amitié entre Adrien et Frantz, ou la réconfortante proximité des esprits animaux. La force de l’oubli ressuscite des moments de "faux" bonheur, lorsque par exemple Anna danse avec Adrien comme elle aurait pu le faire avec Frantz. Mais Kreutz les suit du regard, et, au retour du bal, il faut bien revenir à la réalité : l’ivrogne qu’Adrien relève le repousse violemment.
Le lien pourtant s’imposait d’emblée, puisque le prénom de Frantz, transcription du prénom allemand Franz, est empreint de culture française : « Je me suis raconté que c'était Frantz qui avait rajouté ce "t", car il est un grand francophile », nous dit Ozon. Quant à Adrien, qui vient s’insérer, et presque s’incruster au sein de la famille et du village allemands, il pourrait signer une sorte de réconciliation cathartique entre deux pays en reconstruction. La langue crée un lien plutôt que de représenter un barrage entre les personnages. Mais la fusion ne s’opèrera pas. Adrien ne pourra pas être toléré en pays ennemi, et Anna, habitée par ses souvenirs, restera une étrangère au-delà du Rhin. Les oiseaux noirs du Jour des corneilles parviendront, eux, à sublimer les terribles souvenirs qui rongent les personnages, à effacer leurs peurs et ressentiments, et à rétablir l’harmonie et la sérénité dont le fils Courge s’émerveille en se retrouvant environné de blancs papillons qui volètent autour de la tombe de sa mère.
Le contact en effet peut aussi s’établir, et c’est le cas dans nos deux films, entre deux mondes radicalement opposés : celui des vivants et celui des morts, qui, selon la tradition, ont longtemps entretenu un lien de familiarité que notre Occident semble vouloir oublier : « C’est l’aveuglement dans lequel nous sommes communément à son égard, qui nous empêche de le reconnaître. Nous ne le voyons pas, mais parfois nos yeux s’ouvrent et il apparaît », nous dit Pascale Catala. Tandis que, chez les Celtes ou dans les Caraïbes, en Afrique ou au Japon, la co-existence avec l’autre monde est ressentie comme une réalité immédiate, quotidienne.
le réveil des morts
Parfois, je pense qu’il n’est pas mort, qu’il va revenir.
Anna, dans Frantz
L’émergence du souvenir peut aussi s’avérer brutale. Elle doit même l’être s’il faut briser le joug du mensonge, faire éclater au grand jour les non-dits. C’est la tragique évocation du "jour des tranchées" pour Frantz, et celle de la fureur de l’incendie pour Le Jour des corneilles : des flashes-back qui ne seront pourtant pas capables, par-delà l’épreuve, d’inhiber le désir de croire en l’illusion, d’empêcher Anna de partir à la recherche d’Adrien, ou de voir le père Courge, renaître, apaisé, des cendres du brasier.
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J'accuse, d'Abel Gance |
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Anna devant le tombe de Frantz |
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La fureur du père Courge |
réincarnation
Celui qui perd sa vie un jour la retrouvera.
Paul dans Le Refuge de François Ozon
L’absence de l’être aimé est affligeante pour ceux qui restent mais, par-delà la douleur, la vie doit se perpétuer. Au début de Frantz, Anna s’arrête un temps devant une vitrine de mode et contemple, sans trop l’espérer, cette robe que finalement elle portera en compagnie d’Adrien. Frantz lui demandait dans son ultime lettre de « garder [sa] joie de vivre », et Kreutz lui aussi la conseille : « Il faut vivre, se reconstruire. » Mais ce ne sera pas avec celui-ci qu’elle pourra trouver la paix de l’âme ; il est trop commun, trop intégré dans la banalité de cette petite ville. Ce qu’elle ressent, c’est un impérieux besoin de combler une absence en la sublimant. Et Adrien, cet être miraculeusement surgi de l’au-delà et qui appartient à l’intimité de son fiancé, apparaît à point donné pour incarner l’espoir insensé d’un retour du disparu. Il a en quelque sorte l’évanescence, la fragilité d’un revenant porteur d’une blessure, toujours susceptible de s’évanouir, en jouant du violon par exemple, ou de disparaître sans laisser de traces…
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Anna et le jeune Français devant le tableau de Manet |
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Adrien et Frantz jouant du violon |
les doubles
Claude Lecouteux rappelle la tradition, d’origine chamanique, qui fait du revenant un double, un alter ego de la personne décédée. Certains personnages de François Ozon, en état de déni vis-à-vis de la mort - que ce soit celle de l’autre dans Sous le sable, ou la sienne propre dans Le Temps qui reste -, peuvent en témoigner. Le héros de L’Amant double est en quelque sorte cloné. Les protagonistes de Une nouvelle amie ou de Potiche révèlent, selon une prédisposition inattendue, deux faces complémentaires. Le Temps qui reste nous montre un homosexuel se substituer à un mari stérile pour coucher avec sa femme, et surtout Romain se substitue à cet enfant qu’il fut et qu’il découvre lorsqu’il se regarde dans une glace.
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Adrien voit Frantz dans le miroir |
Adrien quant à lui s’impose comme un double, un reflet de Frantz : lorsque le père Hoffmeister tend le portrait de son fils devant le jeune Français, il le tient comme si c’était un miroir. Et lorsque ce dernier, lui aussi, se découvre dans la glace, il y prend les traits de Frantz. On voit plusieurs fois les deux hommes vêtus pareil, et leur fascination réciproque, lorsqu’ils se retrouvent face à face dans la tranchée, semble induire la possibilité d’une liaison homosexuelle que permettrait d’assouvir, après qu’Adrien ait tiré sur Frantz, cet obus qui le projette, en une étreinte fusionnelle, sur le corps de l’autre.
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histoires de revenants
Ne doit-on pas chercher le fantôme davantage à l’intérieur de nous que dans un éther imaginaire ou une cinquième dimension ?
Pascale Catala, Apparitions et maisons hantées
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Thomas Edison et son nécrophone |
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Thomas Edison et son nécrophone |
La bibliographie et la filmographie les concernant sont abondantes, parmi lesquelles il serait bien hasardeux de définir ce qui relève de la science ou de la fiction, du témoignage ou de l’imagination. Les contes populaires, tout autant que les grands mythes, constituent une véritable mine de récits rendant compte de leurs tribulations. L’Église les a mis à contribution pour éduquer les fidèles, tandis que de grands esprits, comme Victor Hugo, Flammarion ou Edison, se sont efforcés de les rencontrer.
Le retour des morts peut survenir lorsque l’on rêve ou lorsque l’on est en état de veille. Il peut être spontané, totalement imprévisible, ou bien provoqué grâce à des médiums et par divers procédés comme les tables tournantes, à des danses de possession, des champignons hallucinogènes… Les différentes traditions nous disent qu’il concerne surtout les âmes en peine : lorsqu’il s’agit d’un trépas précoce, transgressif par rapport à ce que l’on peut considérer comme une "bonne mort", ou lorsque les rituels de deuil n’ont pas été correctement accomplis, l’esprit du défunt, bien qu’ayant abandonné son corps, demeure sur terre. Il se peut aussi qu’il ait laissé derrière lui une grande douleur, ou quelque rancune inassouvie…
Il est notoire que, si des personnes décédées choisissent de se manifester, c’est pour se venger, ou bien transmettre un message, solliciter une aide ou des prières, manifester son affection, son inquiétude ou son ressentiment, ou révéler un secret… On peut cependant considérer que c’est sans doute plus souvent pour répondre à une attente secrète de celui qui les voit, que pour exprimer une volonté de l’au-delà. Dans quelle mesure est-ce un revenant qui se manifeste dans une apparition, ou bien un vivant qui en ressent le désir, le besoin, qui en exprime la demande ?
le refus de la mort
Il me semblait qu’une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux.
Alfred de Musset, Souvenir
« Tout signe indiquant que l’être cher n’a pas complètement disparu est accueilli avec une avidité intense ». C’est pourquoi, selon Pascale Catala, on aspire à « éprouver comme une présence, percevoir des "signes" ». Cela ne va pas toujours sans une certaine appréhension chargée de culpabilité vis-à-vis des disparus : même s’il ne s’agit pas d’êtres foncièrement hostiles, il se pourrait, même sans en avoir conscience, que nous ayons quelque dette envers eux. Le culte du souvenir implique toujours une acceptation : la fonction des banquets funèbres, fêtes et danses qui accompagnent certains rites funéraires est bien de régulariser une situation et de mettre fin, en le faisant participer, aux relations que le mort peut entretenir avec les vivants.
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L'évocation des morts aimés |
attachement
Laisser partir ceux qui ne sont plus avec nous est un processus laborieux.
Carlos Sluzki, La Présence de l'absent
Il est difficile pour les revenants de partir, mais ceux qui restent ont apparemment plus de mal encore à se séparer de ceux qui les ont accompagnés tout au long de leur vie. On aimerait tant qu’ils demeurent, encore un peu, vivants près de nous. Les oublier reviendrait à les faire mourir une seconde fois. On préserve intacte leur chambre, note Sluzki, et on leur garde une place à table : « une lutte qui peut se prolonger durant des années, entre l’espoir et le deuil »... Les fêtes régulièrement sollicitent leur présence. Après tout, comment auraient-ils pu totalement disparaître ? Ne dit-on pas que, sur notre terre, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ?
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Ponette de Jacques Doillon |
Le mot saudade désigne ce « sentiment de délicieuse nostalgie mêlée de joie » (Larousse) qui émane du fado portugais : la « remémoration de personnes ou de choses absentes ou perdues à jamais, accompagnée du désir de les voir ou de les posséder une fois encore ». C’est sur ce mode que Sluzki constate, dans les apparitions de revenants, une sensation d’inachèvement : « L’objet du désir nous a quitté, mais pourrait revenir dans un futur éloigné… ou pas ».
crainte
Les forces sont trop puissantes. Je veux dire, des forces épouvantables… Il faut naviguer avec précaution parmi les fantômes et les souvenirs.
Ingmar Bergman, Le Silence
De même qu’il y a nécessité d’accomplir son travail de deuil si l’on souhaite que les esprits familiers puissent enfin se libérer et définitivement s’arracher à ce monde, de même il faut parfois faire appel à des rituels appropriés pour que certains morts cessent de venir nous importuner ou nous harceler. Les asperger d’eau bénite ne suffit pas toujours. On peut murer la porte par où on les emmène et faire des détours en allant au cimetière pour qu’ils ne retrouvent plus le chemin du retour… On leur coupait parfois les pieds ou la tête dans le même but, et il est notoire qu’il faille parfois aller jusqu’à leur planter un pieu dans le cœur pour les river définitivement dans leur tombe. Ces coutumes ne sont pas propres aux vampires des Balkans. Les traditions et vestiges archéologiques en témoignent partout en Europe. Claude Lecouteux les a tout particulièrement dépistés dans les pays germaniques : « le non abandon des morts implique la croyance en leur survie, et la mutilation des corps atteste clairement la peur qu’ils inspiraient. »
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Le tertre Saint-Michel, à Carnac |
Mais peut-on chasser à jamais nos peurs les plus viscérales, peut-on échapper à ces souvenirs oppressants ou douloureux qui nous retiennent prisonniers, lorsque la terrible Hécate, l’infernale maîtresse des apparitions nocturnes, nous adresse ses cauchemars ? D’aucuns diraient que les monstres qu’elle engendre se tapissent au plus profond de nous et qu’ils seraient le fruit de notre vécu, de notre passé, en fait de notre subconscient. Les répugnantes compagnes de la déesse, les Érinyes, incarneraient en fait nos désirs refoulés, nos remords. Ce serait finalement nous qui, par nos souhaits ou nos craintes, donnerions vie à nos fantômes.
in memoriam
Si tu ne veux pas les voir, alors tu ne les verras pas.
Veyran, in Marie Capdecomme, La Vie des morts
Phénomène éminemment subjectif, la rencontre avec les revenants s’impose à certains, et ne peut être niée. La meilleure façon de s’en débarrasser, c’est, selon Marie Capdecomme, « de leur donner une réalité objective, de leur "reconnaître" une réalité : nul besoin de savoir, de décider pour moi-même si les fantômes sont réels ou pas, ils le sont, admettons, à partir du moment où des gens leur reconnaissent une réalité ». Ce sont dès lors les raisons de l’inconscient qu’il s’agit d’apprivoiser et de comprendre. Mais, quelle que soit la forme sous laquelle ils se manifestent, il est important de préserver la mémoire des êtres chers ou des êtres craints, plutôt que la subir. Le culte des ancêtres permettait de les garder en quelque sorte près de soi, et la transmission se faisait souvent en dotant le nouveau-né du prénom d’un ascendant, surtout lorsque celui-ci venait de décéder.
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Metropolis de Fritz Lang |
Mais il devient possible, au-delà des commémorations, photos, films et autres enregistrements qui rappellent leur souvenir, de maintenir les défunts en vie : ils se survivent par exemple à travers leur page Facebook qui, en restant activée, permet à certains de continuer à dialoguer avec eux. Sans parler de la création de clones, on élabore actuellement des algorithmes qui permettront d’enregistrer et numériser toutes les données relatives à un individu (aspect, voix, tics de langage, sentiments, idées, goûts, pensées, habitudes…) de façon à pouvoir les transmettre à un hologramme. De la même façon qu’on peut ainsi remettre en scène des chanteurs disparus, celui-ci le remplacera dans la vie courante et poursuivra son œuvre : un double que l’on pourra virtuellement fréquenter et avec lequel on pourra continuer à s’entretenir. Il suffira alors de télécharger l’application pour entrer en communication avec lui… : un ersatz de moi, immortel. On peut aussi se poser la question si, finalement, il ne vaudrait pas mieux parfois effacer la mémoire, apprendre à oublier ceux qui nous ont quittés et les laisser reposer en paix ?
Livres
. Marie CAPDECOMME, La Vie des morts - Enquête sur les fantômes d'hier et d'aujourd'hui, Imago, 1997
. Pascale CATALA, Apparitions et maisons hantées, Presses du Châtelet, 2004
. Jean-Claude SCHMITT, Les Revenants - Les vivants et les morts dans la société médiévale, Gallimard, 1994.
Claude LECOUTEUX, Fantômes et revenants au Moyen Âge, Imago, 1996
.
Georges BERTIN (dir.), Apparitions/disparitions, Desclée de Brouwer, 1999
.
Carlos SLUZKI, La Présence de l’absent, réalisme magique en thérapie familiale, De Boeck, 2014
.
François-Marie LUZEL, Fantômes et dames blanches, Ouest-France, 2007
Films
. François OZON, Sous le sable, 2000
.
Lee UNKRICH, Adrian MOLINA, Coco, 2017
.
Michael WINTERBOTTON, Un été italien, 2008
.
Andrew HAIGH, 45 ans, 2015
.
Pedro ALMODÓVAR, Volver, 2005
. Alfred HITCHCOCK, Rebecca, 1940
.
Robin CAMPILLO, Les Revenants, 2004
.
Kenji MIZOGUCHI, Les Contes de la lune vague après la pluie, 1953
.
Joseph MANKIEWICZ, L’Aventure de Mrs Muir, 1947
.
Alejandro AMENÁBAR, Les Autres, 2001
.
Hiromasa YONEBAYASHI, Souvenirs de Marnie, 2014