rebondir
lundi 6 février, 20h : Film
Happiness Therapy
(USA, 122 min.) de Matt Ross, avec présentation et débat en présence de
Louis Mathieu, président de Cinéma Parlant, et de Bénédicte Gohier, chef du Service de Psychiatrie et d'Addictologie, CHU d'Angers
Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau,
Angers
Tarifs habituels aux 400 Coups : 8,60 €,
réduit 6,90 €, carnets 5,70 € ou 5 €, moins de 26 ans 6 €, moins de 14 ans
4,50 € - tarif groupe, les matins également, sur réservation (02 41 88 70
95) : 4,20 €
jeudi 9
février, 20h : Conférence
L'âge mûr ou l'éternelle
désillusion, par Geoffrey Ratouis, historien
Sans doute, serait-ce un tort de croire que l'âge adulte est un
aboutissement, une période de plénitude et de stabilité après le tourbillon de
l'adolescence. D'ailleurs, contes et légendes ne rappellent-ils pas combien il
est nécessaire de poursuivre son apprentissage tout au long de sa vie, tant les
pièges et les embûches sont nombreux, imprévisibles, parfois même
improbables ? De l'épopée de Gilgamesh à Extension du domaine de la
lutte, la littérature dresse les mêmes portraits de femmes et d'hommes
perdu-e-s dans leurs vicissitudes. Un thème maintes fois abordé au cinéma.
Institut Municipal, place Saint-Eloi,
Angers
Gratuit
jeudi 16 février,16h :
Atelier
Terramorphoses, L'art
a-t-il vocation à faire du bien ?
L'artiste
Lulu Claire Richez et Barbara Boulday, de l'association Le Germoir de Maïa , vous
proposent de découvrir un projet artistique, développé avec le public de leurs
ateliers.
Vous serez invités ensuite à expérimenter vous même, en co-création avec elles, une technique de dessin simple et ludique, autour d'un conte.
Le 122, 122
rue de la Chalouère, Angers
Adultes et enfants (dès 6 ans, accompagnés)
Participation découverte :10€
Réservation : Claire
Richez 06 74 28 37 53
jeudi 16 février,18h30 : Film documentaire
Pour Ernestine, de Rodolphe Viémont, avec présentation et débat en présence de Patrice Lambert, psychologue clinicien
Le cinéaste, bipolaire, nous livre avec une totale sincérité, le bouleversement que la naissance de sa fille a opéré en lui. Nous le suivons, suite à un post-partum au masculin, dans sa tentative quotidienne de conjuguer paternité et création artistique, alors que celle-ci ne trouvait ses racines que dans la douleur et la maladie. Un changement difficile de paradigme s'opère, rebattant toutes les cartes de sa vie. Mais pourquoi créer devrait-il rimer avec souffrir ? Et si ce qui comptait dans la vie n'était pas l'issue, mais le combat ?
Le 122, 122 rue de la Chalouère, Angers
Prix libre
Commentaires
Textes de Philippe Parrain
Pour qui s'est engagé sur le chemin de la vie, l'existence est rarement un long fleuve tranquille. Elle se déroule parfois paisiblement, mais elle peut aussi folâtrer dans la campagne ou se ruer dans des torrents et même se précipiter en cascades, se prélasser dans un grand lac ou désespérément s'assécher dans l'attente de quelque pluie salutaire.
C'est là une chance pour les films (ou pour les romans) qui ainsi peuvent nous tisser de belles ou dramatiques histoires et nourrir notre imaginaire. C'est aussi ce que nous transmettent - entre le batifolage des nymphes et la malédiction d'Œdipe - mythes et légendes.
Happiness Therapy
Déjà, dans son film précédent, Fighter, David O. Russell parlait d'hommes fêlés, d'hommes ratés qui, au contact d'une femme au caractère bien trempé, arrivaient à se redresser et à réussir. Pat a lui aussi fait une belle sortie de route, mais sa situation n'apparaît pas comme une fatalité. Sa rencontre avec Tiffany, laquelle assume sa part de folie, lui permet de faire un pas vers l'acceptation de soi. Comme on peut le dire, l'amour est la conjonction de deux névroses complémentaires.
La question qui se pose est : comment aborder le thème de la maladie mentale avec justesse, sans étudier un cas clinique et sans caricaturer. Le réalisateur a trouvé la bonne réponse en s'inspirant de l'expérience qu'il a lui-même vécue auprès de son fils bipolaire.
Techniquement il a fait appel à des gros plans et à des travellings avant qui établissent une proximité psychique avec les personnages. Il a également choisi une caméra mobile pour traduire leur instabilité psychologique. Et surtout il a réussi à établir un parfait équilibre entre la comédie et le drame, entre l'empathie pour ces êtres perturbés et une réjouissante hystérie.
Il s'agit au demeurant d'un véritable "feel good movie" relevant d'un optimisme à toute épreuve. Ce que suggère le titre original : The Silver linings Playbook, autrement dit "le scénario des éclaircies après l'orage", "Après la pluie le beau temps", ou "Tout est bien qui finit bien"… Comme quoi on peut toujours apprendre à vivre par-delà ses vicissitudes.
Le film a obtenu huit nominations aux Oscars et, auprès de Bradley Cooper, Jennifer Lawrence y a été reconnue meilleure actrice. Quant à Robert De Niro, il s'impose lui aussi en chef de famille quelque peu dérangé.
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thèmes mytho-légendaires du film
J'ai commis une mauvaise action. Dans le temps.
Robert Siodmak, Les Tueurs
"J'ai tout perdu, tout foutu en l'air. Mais toi aussi, tu as tout foutu en l'air. On peut rattraper les choses, on va les rattraper. Ça va aller beaucoup mieux maintenant. Je vais mieux, et j'espère que toi aussi.. " Pat s'adresse à Nikki, sa femme, une Nikki qui n'est plus là. Il est seul, filmé de dos, étranger au monde, absent de lui-même. Reclus dans sa chambre d'hôpital, il doit expier. Car il est coupable, il le sait. Il semble frappé d'une malédiction pour avoir failli, dans un geste désespéré, tuer un homme. Et surtout sa maladie, son impulsivité mal contrôlée, le condamne. II va devoir se reprendre en mains, repartir à zéro, recoller les morceaux. Livré à lui-même, il entreprend de se reconstruire. Quitte à faire le deuil de son passé en brisant les liens qui l'y rattachent. Il doit passer le cap, en quelque sorte se réincarner.
renaissance
Je pensais que, si je réussissais à animer une matière morte, il me serait peut-être possible […] de restituer la vie.
Marie Shelley, Frankenstein
Tout commence dans le noir, le néant. Il parle. Il est de dos et revient tout doucement à la vie, à une vie antérieure qui remonte à sa conscience : les dimanches, les matchs de foot à la télé, les braciole de sa mère, et puis l'amour, un amour véritable… tout un ensemble de petits bonheurs qui appartiennent au passé. Un passé d'emblée problématique puisqu'il est question de juge, de plaider coupable.
Il se retourne pour faire face. Excelsior, ? "Toujours plus haut", telle est la devise qu'il affiche. Mais c'est un escalier qu'il descend, jusqu'au plus profond de ce lieu préservé que représente l'hôpital. Ce qui ne l'empêche pas de recracher le cachet qu'on veut lui imposer, ni de se dépenser, de faire des pompes dans la cour.
C'est alors qu'il est à terre en train de s'entraîner qu'il se retourne et découvre sa mère qui se tient au-dessus de lui et le regarde, souriante, dans la lumière du jour. Elle veut le faire sortir du cocon de l'asile. Et elle montre son impatience : "Huit mois, c'est assez long !" Faut-il en déduire qu'il s'agit d'un accouchement, et que celui-ci est prématuré ? La suite semble le prouver, vu les difficultés qu'il éprouve à s'intégrer dans sa famille. Son père est d'ailleurs surpris et inquiet de le voir arriver si tôt, en quelque sorte de se redécouvrir père. Alors que la mère rayonne de fierté en contemplant son "nouveau-né".
Rééducation
Serait-ce enfin le tournant de ma vie ? Le moment de mettre un pied devant l'autre sans tomber ? De construire enfin ?
François Lejeune, Dans ma tête de bipolaire
À peine sorti de l'hôpital, Pat se lance des défis. C'est un véritable combat dans lequel il doit s'engager. Tels certains héros, il veut partir à l'assaut de la vie, se lancer dans l'aventure, non sans certaines maladresses, mais toujours avec ferveur : "Si on reste positif, on a droit à un rayon de soleil." Lorsque Lancelot s'était trouvé en âge d'affronter le monde, il fut conduit à la cour du roi Arthur par Viviane qui l'avait élevé jusque-là. Il s'y fit adouber et s'illustra par l'éclat de ses exploits que seul vint ternir son amour sans partage pour la reine Guenièvre, lequel en fin de compte détermina la ruine du royaume. Perceval, quant à lui, s'en va lui aussi rejoindre la cour d'Arthur. Mais, totalement ignorant des qualités exigées d'un chevalier, il maltraite en chemin une jeune pucelle et, incidemment, n'hésite pas à tuer le Chevalier Vermeil à qui il vole son armure et ses armes.
Pat, en quête d'une nouvelle personnalité, n'en use pas autrement lorsqu'il sort pour affronter le monde : il se revêt d'un sac poubelle qu'il porte à la façon d'une cotte de maille et n'hésite pas, au passage, à brutaliser la proviseure du lycée où il enseignait. Sa devise, Excelsior, ne le désigne-t-il pas comme le "meilleur chevalier du monde" ?
Emporté par sa foi et son enthousiasme de bipolaire, il refuse l'aide que pourraient lui apporter les médicaments et veut s'affirmer en héros créateur de son destin. Il entend dépasser ses propres contingences, se passer de l'autorité "divine" (qu'il s'agisse de son psy ou de son père) et affiche la volonté de puissance que célébrait cet autre bipolaire qu'était Nietzsche. Dès sa sortie de l'hôpital, il se sent pris d'une boulimie de lecture, aspirant à en savoir autant que Nikki, sa femme professeure de lettres. Il n'oublie pas non plus de s'entraîner physiquement, histoire de s'assurer une grande forme. Il est obligé de réussir s'il veut pouvoir retrouver Nikki. "C'est beaucoup de travail, mais je vais le faire." il revendique son "rayon de soleil" et rejette tout ce qui peut lui paraître négatif, par exemple la fin tragique - la mort de la femme aimée - de L'Adieu aux armes. Tiffany d'ailleurs refusera à son tour la "vision noire de l'humanité" qui transparait dans Sa Majesté des mouches.
Bien sûr il est nécessaire de brider son ardeur et ses excès qui, à tout instant, risquent de mettre en danger l'équilibre de la société. Les anciens Grecs parlaient d'hybris : un comportement violent et outrancier, une transgression qui pouvait être assimilée à un crime et pour laquelle Prométhée et Icare, ou encore Lucifer ont été justement châtiés.
Pat, quant à lui, a pu se libérer de la prison hospitalière, mais il se heurte toujours à l'interdiction de dépasser les limites qui lui ont été légalement imposées : la maison familiale et son environnement immédiat, domaine préservé, considéré comme un lieu de ressourcement, un purgatoire, avant de partir affronter le monde, en quête de cette Nikki à laquelle il tient à rester fidèle et dont on voudrait le séparer à jamais.
Pourtant il ne peut s'empêcher de faire éclater cette coquille, de vouloir courir plus loin, de dépasser ses limites. Et en même temps cette réclusion lui est profitable. Il n'est pas question pour lui de mener seul le combat, et il est effectivement épaulé, que ce soit par ses parents, par son psychiatre ou par le policier du voisinage, en attendant les brusques surgissements de Tiffany lorsqu'il fait son jogging.
L'action se résout en une suite de tête-à-tête, à la fois confrontations et soutiens, qui se concluront, grâce à la danse, en un corps-à-corps. Ce que la caméra met en évidence en faisant appel à des champs-contrechamps - gros-plans avec amorces des deux interlocuteurs - qui soulignent alternativement le lien et l'isolement, le courant qui passe, l'urgence de se raccrocher à un contact. C'est ainsi que les séquences d'entraînement à la danse mettent en évidence le mouvement des corps de Pat et de Tiffany qui se rejoignent en un large mouvement enveloppant pour se retrouver face à face, en parfaite harmonie. Tandis que les autres protagonistes font groupe autour d'eux.
Dérives
Le cercle infernal rejoue son petit air sournois, doucement au début, puis de plus en plus fort pour me crier à la gueule que la maladie se réveille et que la crise est de retour.
François Lejeune, Dans ma tête de bipolaire
Pat n'en reste pas moins fragile, instable, toujours soumis à ce trouble bipolaire que le moindre incident peut déclencher, à ces sautes d'humeur qui dégagent des flots d'énergie qu'il ne peut empêcher de déborder. Il y a déjà cette chanson qui le hante et qui le fait craquer dans la salle d'attente du psy : le traumatisme déclencheur qui le condamne émotionnellement autant que pénalement. " N'en fais pas un monstre", lui conseille pourtant Tiffany.
En fait tout, autour de Pat,semble vaciller. Les différents personnages, à commencer par Tiffany, sont, d'une façon ou d'une autre, dérangés, atteints d'un trouble mental. Le père lui-même, joueur invétéré et maladivement superstitieux, se retrouve lui aussi privé d'emploi et même interdit de stade pour comportement violent ; il se montre finalement tout aussi déséquilibré que Pat, lequel ne manque pas de lui renvoyer à la figure : "C'est toi qui devrais aller voir un psy, avec toutes ces télécommandes que tu tripotes sans arrêt, tu souffres d'un TOC !" Jusqu'au psychiatre de Pat, lui-même, que l'on retrouve parmi les supporters du club, le visage barbouillé de peinture.
L'évocation de Halloween pourrait faire allusion à ce déchaînement des esprits. Pourquoi pas une allusion à un cas de double personnalité qui, à la façon de la maladie, s'empare de Pat lorsqu'il est en crise : une sorte de possession, pourquoi pas une transformation temporaire en loup-garou ? Il s'agirait plus exactement d'une façon de suggérer la saison automnale, un temps de déclin et d'épreuves par laquelle il faut passer tout en suscitant une crise collective lorsque le père voit tous ses espoirs s'écrouler, jusqu'à ce que Tiffany intervienne pour percer l'abcès.
La Dame
Ma dame est au loin, jamais je ne la reverrai.
Joseph BÉDIER, Le Roman de Tristan et Iseut
Bien sûr, l'enjeu principal pour Pat, le défi suprême est la (re)conquête de la dame, de sa Dame, à la façon de tous les grands amoureux - Tristan, Roméo, Rama, Orphée … - qui se trouvent empêchés d'atteindre ou de retrouver la femme idéale, la Dame vénérée et inaccessible. Il est hanté par l'image du couple parfait, immuable, qui lui semble incarné par celui de son copain Ronnie et de Veronica. Jusqu'à ce que Ronnie lui avoue qu'en fait il se sent pris à la gorge : "On ne peut pas être heureux tout le temps."
C'est alors qu'intervient Tiffany qui va lui redonner espoir, en quelque sorte ressusciter un mort. Elle lui demande pour cela de faire comme si elle était Nikki : un double, de la même façon qu'Iseut aux Blanches Mains apparaissait comme le substitut d'Iseut la Blonde. Et c'est à la danse qu'elle a recours pour créer l'illusion et canaliser le trop-plein d'énergie de Pat : une ivresse à partager.
Elle devient ainsi pour cet homme égaré une guide providentielle, la muse qui éveille son talent, une Ariane qui lui procure le fil pour échapper au labyrinthe de ses humeurs, ou bien encore une Béatrice qui lui montre la voie. Faut-il relever l'étymologie de ce prénom, Tiffany ? Il se réfère non pas à un saint, mais à une fête chrétienne, l'Épiphanie qui signifie "apparition", "révélation du divin", une manifestation qui est signalée par la présence d'un signe. Il se trouve que Tiffany est particulièrement sensible aux signes qu'elle sait interpréter, comme elle le prouve lorsqu'elle affiche une miraculeuse connaissance des événements footbalistiques.
Cependant son intervention n'est pas parfaitement désintéressée, et Pat ne suit pas l'exemple de Tristan qui, ayant remplacé Iseut la Blonde, ne peut survivre à la perspective de ne plus jamais la voir. Iseut, apprenant la mort de Tristan, se laissait elle aussi mourir à ses côtés. La fin, ici, est plus prosaïque : Tiffany, jalouse comme Iseut aux Blanches Mains, ne peut pas empêcher Pat de revoir Nikki, mais tous deux survivront à cette rencontre, laquelle marque en fait le terme de leur "sublime" amour…
Retour à la réalité
Pour aller jusqu'à toi, quel drôle de chemin il m'a fallu prendre.
Robert Bresson, Pickpocket
Il n'est en effet pas possible que Nikki, vue en chair et en os, attablée en compagnie de Ronnie et Veronica, continue de représenter un idéal. C'est la banalisation du mythe de la Dame. Comme si Tristan retrouvait Iseut la Blonde en bonne ménagère occupée à la cuisine ou à torcher les gamins. La fin du rêve ! Il devient évident que la quête de Pat s'est trompée d'objet : il ne voit pas celle à laquelle il aspire alors qu'elle est tout près de lui. Ses courses dans le lotissement sont aussi vaines que celles du hamster qui tourne sans fin dans sa roue.
Pat est tiraillé entre deux projets qu'on veut lui imposer, entre deux mentors qui ont besoin de lui. D'une part, son père, qui fait des plans sur la comète, veut le valoriser en tant que porte-bonheur pour toucher le jackpot et ouvrir un restaurant. D'autre part, Tiffany entend l'engager comme partenaire en vue de son tournoi de danse. De quoi mettre en péril son fragile équilibre de bipolaire. Il faut savoir interpréter les signes et parier sur l'avenir, quitte à aider le sort en faisant appel au mensonge et aux petites combines : un pari sur les résultats sportifs, mais surtout un pari sur la vie. Et c'est en se soumettant à la discipline de la danse qu'il va pouvoir canaliser son énergie et reprendre pied.
C'est la compétition de danse qui va servir de catalyseur pour unifier les oppositions et réunir à la fin tous les personnages autour d'un même projet. Même le psychiatre, devenu supporter de foot, participe à la fête. Certes Pat et Tiffany ne sont pas vraiment des gagnants, mais ils obtiennent la moyenne : 5 sur 10. Et la moyenne, on peut aussi apprendre à s'en satisfaire dans un projet de vie. Passé l'automne, Noël ouvre une nouvelle année riche de promesses
Mais qu'en sera-t-il du nouveau couple qui vient de se concrétiser ? Qu'en sera-t-il pour Pat de son sentiment de surpuissance, des envolées de son imaginaire, de l'idéalisation de la Dame… ? Devra-t-il suivre sagement les prescriptions de son psychiatre et devenir un bon citoyen ? Ne faut-il pas craindre des rechutes, le retour de ses sautes d'humeur et de ses rêves insensés ? En tout cas le film est bien fini.
The end
les faux pas
Il semblerait pour certains que la bipolarité, en tant que maladie, touche près de 5% de la population (chiffre sans doute majoré du fait de la médiatisation). Qui pourtant ne connaît pas des moments d'exaltation et de créativité, suivis des moments de fatigue et de découragement, d'états d'intense ferveur suivis de coups de blues? Les individus ne cessent d'être ballottés par la vie. Il est souvent difficile de faire le meilleur choix dans ses décisions. Entre incapacité à s'engager et fourvoiement dans des délires incontrôlés, la folie, sous ses multiples formes, en montre des cas extrêmes.La fureur du héros
Lancelot se trouve en ces lieux dans un tel état qu'il ne boit ni ne mange, malgré tous les encouragements qu'on peut lui prodiguer, et toute la journée il mène une telle douleur que personne n'arrive à le calmer. Son crâne se vide et il lui monte à la tête une telle folie furieuse que rien ne lui résiste. Il n'y a pas un de ses compagnons à qui il n'ait fait deux ou trois blessures. Le geôlier finit par l'isoler dans une chambre : il voit bien que sa folie furieuse n'est pas feinte et il en a lui-même grand pitié...
Lancelot du lac, ms fr 118, Bibliothèque Nationale
Gustave Doré, Roland furieux (1878) |
Lopo de Aguirre, incarné par Klaus Kinski (Werner Herzog, Aguirre, la colère de Dieu, 1972) |
Cette maladie, où des surhommes puisent la force de leurs exploits et la puissance de leur créativité, est aussi ressentie, pour ceux qui en sont frappés, comme une grande souffrance pouvant aller jusqu'au suicide.
Le doute
On arrête tout, on réfléchit et ce n'est pas triste.
Gébé, L'an 01
Sans atteindre une dissociation extrême de personnalité à la manière du Dr Jekyll et de Mr Hyde, tout un chacun connaît des mouvements d'humeur tels que ceux qu'expérimentent la petite Riley dans le film Vice-Versa ou la Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier.
Auguste Rodin, Le Penseur, Musée Rodin, Paris |
L'actualité fournit d'autres exemples de ces atermoiements : le phénomène de la Grande Démission montre des salariés plutôt favorisés qui quittent leur emploi pour se consacrer à des activités qui conviennent mieux à leurs convictions personnelles, tandis que des étudiants de grandes écoles décident de ne pas rejoindre certaines entreprises qu'ils ne considèrent pas comme éco-responsables.
Ce peut aussi être un jeu plus superficiel, comme à Carnaval où l'on change de personnalité comme de masque. On se grime pour induire en erreur, donner une autre image de soi-même sans cesser d'être la même personne. Les dieux et les personnages de contes aussi aimaient se métamorphoser pour échapper à leurs rivaux ou séduire les mortelles, ce qui permet par exemple à Zeus de dissimuler une majesté trop insoutenable.
Jérôme Bosch, La Tentation de saint Antoine , musée du Prado |
Le bout du tunnel
… La reine Guenièvre sort, le prend par la main et lui commande de se lever ; aussitôt il obéit et elle l'emmène dans une chambre à l'étage. Les dames de sa suite demandent qui ; au dire de certaines, c'est un des meilleurs chevaliers du monde. Seule la reine peut le faire tenir en paix : lui donne-t-elle l'ordre de rester tranquille, il ne bougera plus.
Lancelot du lac, ms fr 118, Bibliothèque Nationale
On parle d'"euthymie" pour décrire ces périodes de rémission, d'humeur relativement stable entre délire et dépression. C'est alors que les personnes bipolaires peuvent reprendre pied et faire des choix qui les engagent dans la vie et qui leur permettront peut-être de canaliser ces flots d'énergie qui les submergent.
"Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" Le film Happiness Therapy pourrait se conclure sur ces mots. La "thérapie du bonheur" porte ses fruits et apporte effectivement un grand apaisement. Mais on connaît la chanson : un jour ou l'autre Pat et Tiffany ne manqueront pas d'entamer une procédure de divorce, ils restent tous deux bien fragiles. Et tout pourra recommencer. La pratique de la marche ne représente-t-elle pas un équilibre précaire à chaque pas remis en question ?
Livre
.. François LEJEUNE, Juliette LAMOT, Dans ma tête de bipolaire , Eyrolles, 2020
FILMS
. Joachim TRIER, Julie (en 12 chapitres),
2021
. Darren ARONOFSKY, Black Swan, 2010
. Alfred HITCHCOCK,
La Mort aux trousses, 1959
. Joachim TRIER, Oslo, 3 août,
2012
. René MANZOR, Dédales, 2003
. Christian PETZOLD,
Phoenix, 2014
. Asghar FARHADI, Le Client, 2016
. Wim
WENDERS, Les Ailes du désir, 1987
. Martin SCORSESE, Shutter
Island, 2010
. Tom FORD, A single man, 2010
. Noah BAUMBACH,
Frances Ha, 2012
. Robert BENTON, Kramer contre Kramer,
1980
. Woody ALLEN, Zelig
, 1983